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pouvoir par des condescendances, place au-dessus du palais fédéral le drapeau national noir, rouge et jaune. La turbulence du corps germanique gagne les duchés, exalte la double prétention toujours grondante, celle des Danois d’englober le Sleswig et de s’avancer jusqu’à l’Eider, celle des Allemands de germaniser même le Sleswig et de s’étendre jusqu’à la Kœnigsau, et produit à Copenhague une agitation populaire de laquelle sort le ministère unitaire de Moltke, et à Kiel un soulèvement qui se termine par la constitution d’un gouvernement provisoire sous la présidence du duc d’Augustenbourg.

En Prusse l’agitation avait été particulièrement grave. Berlin, malgré la fidélité proverbiale du peuple prussien à son roi, n’échappe pas à la contagion. Dès le 15 mars, des barricades s’élèvent. Le roi aussitôt flatte le désir de l’unité, supprime la censure, convoque le Landtag uni. Il s’ensuit une manifestation de gratitude (19 mars) qui bientôt, sous l’impulsion de meneurs occultes, tourne à la défiance, à la colère, puis à la demande du retrait des troupes. Les dragons s’avancent pour nettoyer la place du palais : deux coups de feu partent, l’un par la maladresse d’un soldat, l’autre par le coup d’un ouvrier sur le chien d’un fusil. Quoique personne n’ait été blessé, la foule se disperse en criant : Trahison ! Deux cents barricades s’élèvent. Un combat de huit heures s’engage autour du palais, dans la ville ; les troupes ont partout l’avantage ; mais vers minuit le roi, qui depuis le commencement de cette lutte, tantôt pleurait, tantôt tombait dans une sombre apathie, ordonne, malgré la vive opposition de son frère le prince Guillaume, de ramener les soldats dans les casernes. Cette retraite s’opère sous les huées de la foule ; le commandant irrité, n’ayant plus le droit de combattre, prend sur lui d’ordonner l’évacuation de la ville. La révolution demeure la maîtresse à Berlin comme elle l’avait été à Vienne.

Pour lui obéir, le roi nomme un ministère libéral sous Henri d’Arnim, homme d’esprit et de vigueur, et renvoie en Angleterre son frère et héritier, odieux au peuple. Le 21 mars il subit enfin le dernier degré de l’humiliation. Une foule d’hommes et de femmes vient déposer sous les fenêtres de son palais, face découverte, les morts ensanglantés tués par ses soldats. Tandis que l’hymne des funérailles est entonné par les femmes et les jeunes filles vêtues de deuil, on l’appelle au balcon. Il y vient, s’incline en signe d’expiation devant ces cadavres ; sa femme en pleurs, est à ses côtés, elle s’évanouit, et il l’emporte dans ses bras.

Les jours suivans, pour se tirer d’embarras, il déclare dans une proclamation « que le salut de l’Allemagne était dans une union étroite des peuples et des princes, sous une direction