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unique, qu’il prendrait lui-même celle direction, qu’une assemblée des États en Prusse et un parlement général allaient être réunis immédiatement pour réaliser cette union. La Prusse se lève désormais en Allemagne. » Il flatte la passion publique par tous les moyens, parcourt les rues de Berlin avec ses ministres, portant les couleurs nationales. Pour calmer l’insurrection chez lui, il va la secourir chez les autres. Le roi de Danemark, secondé par l’élan unanime de son peuple, allait disperser le gouvernement provisoire de Kiel ; le roi de Prusse envoie du renfort à la révolte aux abois, espérant que ses troupes récolteront sur l’Eider les lauriers qu’elles n’ont pu gagner sur la Sprée. Il concède à la Pologne l’organisation nationale du grand-duché de Posen, sous la seule condition que les Polonais s’abstiendraient de toute agression contre la Pologne russe. Il ordonne la mise en liberté de Mierolawski, alors sous la menace d’une accusation capitale.

L’état d’anéantissement provisoire de la force autrichienne et prussienne laissait le champ libre au pré-parlement des professeurs et des journalistes. Vainement la Diète essaie-t-elle de s’associer à son action, il la repousse : l’établissement de la constitution allemande doit être réservé à l’Assemblée constituante, sauf à celle-ci à consulter les cabinets. Cette assemblée est élue, selon la récente loi française, par le suffrage universel direct, à raison d’un député par cinquante mille habitans ; elle se réunit dans l’église de Saint-Paul à Francfort ; et en attendant le vote de la constitution, elle établit un pouvoir central provisoire qu’elle confie à l’archiduc Jean d’Autriche (28 et 29 juin).

La fièvre avait gagné jusqu’aux petits États : Neuchâtel s’insurge. A Bucharest quelques jeunes gens exaltés, venus de Paris, improvisent une insurrection contre l’hospodar Bibesco, oubliant que ce prince éclairé avait affranchi les esclaves, préparé l’union des deux principautés, l’émancipation des paysans et défendu en patriote inébranlable l’indépendance de son pays (11 juin). Bibesco, prévoyant les malheurs inévitables de cette révolte inconsidérée, abdique (14 juin) ; un gouvernement provisoire s’installe et appelle aux armes la Bukovine, la Transylvanie, la Bessarabie, et rêve d’un empire roumain.

Les gouvernemens stupéfaits autorisaient ou laissaient faire. On eût dit vraiment arrivé le jugement dernier de l’ancien monde.

Les révolutionnaires crurent un moment qu’ils allaient entraîner l’Angleterre dans leur sarabande infernale. L’Irlande recommence ses agitations. Des bandes de perturbateurs parcourent les rues de Londres en brisant les vitres. A Glasgow, près de cinq mille hommes pillent les boutiques des orfèvres. A Edimbourg, à Newcastle, à Manchester, ont lieu des tentatives de désordres.