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1840 d’aller procéder sur les lieux à une étude de la question. Il traça une ligne qui a gardé son nom et qui marque depuis lors le minimum irréductible des prétentions du gouvernement de la Heine. Cette carte fut publiée en 1842. Elle donne à l’Angleterre non seulement le cours entier de l’Essequibo, avec ses affluens de la rive gauche, le Mazaronni et le Couyouni, mais encore les affluens de la rive droite de l’Orénoque jusqu’à un point un peu en amont de l’embouchure, où le Barima s’y jette. Le travail de sir Robert Schomburgk est peu à peu devenu pour la diplomatie anglaise une sorte de loi des Douze Tables, un document sacré, intangible, immuable, ne varietur. Récemment encore lord Salisbury excluait expressément le territoire ainsi délimité de la compétence d’un tribunal arbitral, au cas où il serait créé. Par malheur pour cette fermeté toute romaine, sir Robert Schomburgk n’avait pas prévu le parti que la politique prétendrait tirer de ses recherches géographiques. Avant d’être investi d’un mandat officiel par le gouvernement de la reine, il avait voyagé dans la région débattue sous les auspices de la Société royale de géographie de Londres ; et dès 1840 il avait réuni les élémens d’une carte de la frontière de la Guyane anglaise et du Venezuela qui fut publiée dans un Blue Book distribué au Parlement. Fatale distraction ! Ce document, revêtu du sceau officiel, rédigé par le même auteur, diffère sous plusieurs rapports essentiels de la carte d’avril 1842. Il reporte la frontière bien plus à l’est et au sud, et il enlève à la Guyane ou il restitue au Venezuela, — comme on voudra, — tout un gros morceau sur la rive droite de l’Orénoque. Le Venezuela protesta sans retard contre l’établissement de la seconde ligne et l’Angleterre s’empressa d’expliquer qu’il s’agissait purement et simplement d’une sorte d’avant-projet. Bien plus, dès 1844, lord Aberdeen, alors ministre des affaires étrangères, proposa un tracé qui divergeait considérablement de celui de sir Robert Schomburgk. Les négociations demeurèrent en suspens. En 1881, lord Granville offrit au Venezuela une troisième ligne qui ne correspondait exactement à aucune des précédentes.

Après de tels changemens de front, il est bien difficile de se retrancher derrière l’inflexible unité des vues des ministres de la reine. C’est là un argument qui ne peut guère porter que sur la galerie. Il est à croire, du reste, que la dispute serait restée purement académique si la découverte de mines d’or et la mise en valeur du territoire contesté n’avaient fait affluer de ce côté une population assez peu policée. Le Venezuela ne parle plus seulement de faire respecter, — même par la force, — ses droits, ou ce qu’il tient pour tels, — dans la région contestée : il y a établi