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inaugurerait sa première session en votant d’urgence, à l’unanimité, les crédits demandés par le président Cleveland, on aurait fait sourire. Ce fut pourtant ce qui arriva. Le mot d’ordre avait été donné à la majorité de ne rompre par aucune fausse note l’harmonie patriotique, de rivaliser de zèle avec le chef du pouvoir exécutif, et, en même temps, de lui laisser sans partage l’écrasante responsabilité de la politique du message. Le Sénat lui-même, malgré de certaines velléités d’opposition vite réprimées, observa, lui aussi, la consigne, et vota, les yeux fermés et sans en altérer une ligne, le texte des propositions présidentielles.

Cependant l’opinion publique s’enivrait de ses propres emportemens. La presse presque entière, — sauf une ou deux exceptions à New-York, — attisait le feu. S’il était jadis de mode de soutenir que les progrès de la démocratie devaient constituer la plus efficace des garanties de paix et qu’une fois le caprice des rois ou l’intérêt dynastique éliminé, les déclarations de guerre deviendraient presque impossibles, ce banal lieu commun était en train de recevoir le plus rude des démentis. A vrai dire, l’expérience, en général, n’a guère confirmé ces souriantes prévisions. La démocratie coule à pleins bords ; elle déborde même un peu partout, et l’on ne voit pas précisément que les guerres ne soient plus que les souvenirs d’un passé aboli. Quand l’émotion ou la passion s’empare d’un peuple, il y a cent à parier contre un qu’il faudra toute la raison des hommes d’Etat, tous les efforts des spécialistes de la diplomatie pour arrêter cette nation sur la pente au bas de laquelle s’ouvre l’abîme d’un conflit sanglant. Nous en avons dans ce moment même une preuve bien surprenante dans le prodigieux affolement auquel s’abandonne le peuple anglais sous l’impression des événemens du Transvaal.

Aux Etats-Unis, dans la seconde quinzaine de décembre, on vit un spectacle à peu près analogue. Le président, en qui l’opinion s’était accoutumée à voir, — non seulement de par ses hautes fonctions, mais en vertu des qualités et peut-être aussi des défauts de son tempérament. — l’ennemi juré du chauvinisme ou jingoïsme, avait jugé bon de tondre de ce pré la largeur de sa langue : aussitôt les politiciens irresponsables, les individualités sans mandat, pour reprendre une expression chère à M. Rouher, s’empressèrent de chercher à se tailler une petite part de popularité et de verser de l’huile sur le feu. L’un demandait la construction immédiate de cuirassés, de fusils nouveau modèle, de canons à mélinite et de forts sur la frontière du Canada. Un autre, — ce sénateur Chandler, du New-Hampshire qui, avec son collègue, M. Lodge, du Massachussets, avait naguère tant contribué à la gaieté des nations en déclarant la guerre en son propre et