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Ici justement la beauté suprême consiste dans un rapprochement ou une ressemblance divine. L’emploi du Stabat Mater s’imposait. Mais l’accompagner ou le commenter n’était pas facile. Pour les deux prières successives, pour l’exhortation filiale et l’acquiescement ou le sacrifice maternel, le musicien a trouvé des accens dignes du thème sacré : assez austères pour ne pas contraster avec lui, assez pathétiques aussi pour exprimer le conflit de passions humaines auquel ce thème préside et où il finit par triompher. Rien n’était plus à craindre ici qu’une disparate, et rien ne fut plus heureusement évité. L’impression est profonde quand l’orchestre le premier expose le chant du Stabat ; quand les chœurs le reprennent à voix nue, dans une tonalité plus froide, plus triste et comme funèbre, l’impression devient poignante ; tout cela véritablement est d’une grande beauté.

Ainsi quelque succès, quelque honneur même a payé d’opiniâtres efforts. La fortune enfin commence de flatter le long espoir, la longue peine d’un artiste courageux, sincère, épris de son art entre tous. M. Coquard, — et nul ne s’en réjouit plus que nous, — M. Coquard n’est plus l’auteur infortuné du Mari d’un jour, une œuvre dont le destin fut, comme le titre, éphémère. M. Coquard est l’auteur partiellement heureux d’une œuvre partiellement admirée. Elle le fut même tout entière sous des deux plus démens, et Monte-Carlo, dit-on, se montra moins réservé que Paris. Mais le second acte du moins de la Jacquerie est beau sous toutes les latitudes, et, dans le temps où nous sommes, cela n’est pas si commun d’être l’homme d’un bel acte, ou d’une belle action.

Il faut louer une fois de plus l’instinct — ou le génie — infaillible de Mlle Delna. Il faut aussi mettre la jeune cantatrice en garde contre une fâcheuse tendance à trop grossir, à trop appuyer les notes graves. Cela est d’un effet assuré sur le public ; mais cela est de mauvais goût, et risque de gâter également la pureté du style et celle de la voix.

Guiraud naguère ayant donné tous ses soins à l’Ascanio de M. Saint-Saëns alors parti pour les pays lointains, M. Saint-Saëns a pieusement terminé la dernière œuvre de Guiraud, parti pour les pays d’où l’on ne revient pas. Touchante mais hasardeuse piété. Le doux, le rêveur Guiraud fut un musicien modeste ; il fut aussi un modeste musicien. Un grand opéra — et mérovingien encore — n’était pas du tout son fait. Les trois premiers actes de Frédégonde — les siens — offrent si peu d’intérêt, ils font payer si chèrement, et d’avance, les beautés du quatrième, qu’on doute s’il n’eût pas mieux valu nous épargner ce que de l’œuvre commune avait fait Guiraud, quitte à nous priver de ce qu’a fait M. Saint-Saëns.

Eh bien ! non. Ceci du moins est trop bien, trop admirablement fait, pour n’en point goûter la prestigieuse, la prodigieuse facture. En