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s’emploie. Nous avons parlé de symphonie tout à l’heure : elle consiste moins ici dans l’accumulation et l’enrichissement polyphonique, que dans la déduction très fine et presque linéaire de l’idée musicale. Celle-ci tantôt s’allonge et s’étire ; tantôt au contraire elle se rassemble, se ramasse en en triolet cinglant. Qu’elle accompagne la voix ou qu’elle y supplée ; soit qu’elle soutienne et porte le discours, soit qu’elle l’interrompe et le hache ; que voluptueusement elle s’arrondisse, ou qu’elle pointe en notes sèches, dures et mauvaises, partout la phrase-type est logiquement significative autant que musicalement belle, et ne chantant jamais pour ne rien dire, jamais non plus elle ne dit rien sans chanter. Qu’importe après cela que le dernier mouvement de ce duo : Ah ! je t’aime, ô mon noble époux ! manque de distinction ! D’abord en est-il à ce point dépourvu ? Qu’on le compare seulement avec un autre mouvement, final aussi, d’un autre duo de Frédégonde : au second acte, et celui-ci de Guiraud. Voilà la trivialité véritable, et l’ayant connue, vous ne trouverez plus en la phrase de M. Saint-Saëns qu’un tour un peu trop facile, à peine un soupçon de vulgarité, juste la petite pointe d’ail qui relève le goût.

Diabolus in musicâ. Ce n’est pas seulement le fameux accord de quarte augmentée qu’il faut appeler ainsi, mais le grand artiste lui-même. C’est lui qui est vraiment un diable, un diable de musicien. Qu’à son diabolique talent le public demeure quelquefois insensible ; que même le quatrième acte d’une Frédégonde n’ait pas de prise sur la foule, et que par cette seule tache de lumière une œuvre aussi terne ne soit point éclairée, tout cela se comprend. N’est-ce pas une héroïne du bon Labiche, qui répondait à l’offre d’une parure par cette distinction profonde : « Je la refuse comme broche, mais je l’accepte comme sentiment. » Il se peut que le public au contraire refuse comme sentiment — telle n’en étant point la plus grande beauté — le quatrième acte de Frédégonde. Que du moins il l’accepte comme broche : par l’exécution, par le travail et l’art exquis, c’est un bijou.


CAMILLE BELLAIGUE.