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son amirauté une activité extraordinaire. Mais la presse a jeté feux et flammes et chaque jour son ardeur paraît augmenter. Le déchaînement qui s’est produit dans l’opinion britannique contre l’empereur Guillaume et contre l’Allemagne elle-même n’a d’égal que la fureur longtemps concentrée qui éclate en Allemagne contre l’Angleterre. Il faut croire que, de part et d’autre, une haine sourde existait sans que personne en eût mesuré la profondeur, pas même les deux nations intéressées. Nous avons vu bien des excès de polémique, et on nous a quelquefois accusés en France d’en avoir fourni des exemples assez fâcheux ; mais rien chez nous, au moins depuis fort longtemps, n’a pu donner une idée des injures, des menaces, des offenses poussées jusqu’au paroxysme que l’Angleterre et l’Allemagne sont occupées à échanger. Nous ne parlons pas des violences plus directes qui se sont produites contre les Allemands dans certains quartiers de Londres ; cela se voit partout, en de certains momens. Ce qui est vraiment rare, c’est la force, la fécondité, l’exubérance d’imagination vitupérative qui engendre un pareil assaut d’outrages réciproques. « Il est temps, disait l’autre jour un orateur de réunion publique, que la reine fasse taire son vilain caneton de petit-fils. » Le député gallois James Mackensie Maclean écrit dans un journal dont il est propriétaire : « Le message de flibustier adressé au président Krüger par l’excitable et volage empereur d’Allemagne constitue une violation du droit international beaucoup plus énorme que l’invasion du Transvaal que Sa Majesté a la prétention de condamner. » Des négocians, des agriculteurs, réunis dans un banquet, boivent à la santé de la reine et de sa famille « à l’exception d’un de ses petits-fils », dont le nom est conspué. Voilà pour le côté anglais. Si on se retourne vers l’Allemagne, on lit dans les journaux des passages comme celui-ci : « Le lion britannique grogne, mais cette méprisable brute ne peut pas mordre ; il a l’habitude de faire d’humbles révérences dès qu’il entend un claquement de fouet. » On jugera par ces quelques extraits du point où en sont arrivés Anglais et Allemands les uns contre les autres. Les journaux les plus modérés de Londres déclarent que l’Angleterre ne pardonnera jamais à l’empereur Guillaume, mais celui-ci ne semble se soucier en aucune manière d’être pardonné, ou non. — Nous avons vu le fond de son âme, disent les Anglais : sa haine contre nous a enfin éclaté. — Que nous voilà loin de l’accueil plein d’espérances qui était fait au jeune souverain lorsqu’il montait sur le trône ! Que d’articles n’a-t-on pas publiés à cette époque à la gloire de Guillaume et à la confusion de la France ! Le journal conservateur par excellence, celui qui représente le mieux les idées et les sentimens du parti actuellement au pouvoir, le Standard, écrivait avec une morgue désobligeante pour nous un article qui nous retombe par hasard sous la main et dont on nous permettra de reproduire un