Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 133.djvu/522

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui permettra d’obtenir de si grands résultats ? Le roi lui-même se proclame l’arbitre des deux affaires. « Pour cet effet, j’ai avisé de prendre une tout autre voie que celle que j’ai tenue jusqu’ici ; désirant maintenant, pour le bien des parties intéressées, attirer la négociation auprès de moi, m’assurant qu’elles déféreront beaucoup plus à ce dont je les prierois quand elles verront que je prendrois moi-même connaissance de leurs affaires que lorsqu’elles pourroient croire que d’autres seulement la prendroient pour moi. » Donc, la négociation serait transportée à Paris. Savoie, Venise, le pape, l’Espagne, l’Empire, enverraient près du roi de France des ambassadeurs spéciaux avec pouvoir de traiter et de conclure. Richelieu caresse d’avance l’idée de cette espèce de « conférence » où il entrera, pour la première fois, en contact avec les diplomates européens, où il pourra faire apprécier la qualité de son esprit. « Dieu me fera cette grâce, écrit encore le roi, de seconder le dessein passionné que j’ai de conserver la paix pour moi-même et l’établir par toute l’Europe. » Ces formules sont vastes et vagues.

Il est de règle, en diplomatie, qu’il ne faut pas s’engager dans une procédure sans avoir sondé le fond de l’affaire, car la procédure touche à l’honneur, et qu’il faut bien circonscrire les questions avant d’entreprendre de les résoudre. Sur ces deux points, l’inexpérience de Richelieu le mettait en défaut. Offrir aux autres puissances une sorte d’arbitrage qu’elles ne demandaient pas, c’était courir le risque d’un refus. A la rigueur, on eût pu prêter à certaines des parties intéressées un appui limité, mais prendre en charge tout le poids du débat, c’était assumer une responsabilité hors de proportion avec l’intérêt réel du pays, avec ses forces, avec l’autorité dont la France disposait en Europe. Prétendre résoudre, d’un seul coup, comme l’indiquait la proposition. toutes les questions pendantes en Italie, c’était compliquer encore l’objet de l’intervention française, et en affaiblir d’avance l’effet utile ; c’était rechercher, en un mot, un de ces succès de prestige qui échappent presque toujours à ceux qui les poursuivent.

Richelieu, une fois ses vues arrêtées, déploie, il faut le reconnaître, une grande activité personnelle pour les faire aboutir : lettres à tous les ambassadeurs leur expliquant en détail les intentions du roi ; efforts pressans à Paris, près du nonce, près de l’ambassadeur d’Espagne, près des ambassadeurs vénitiens pour les déterminer à recommander cette combinaison à leurs gouvernemens ; missions spéciales à des hommes de confiance se rendant à Madrid et à Vienne pour chercher à convaincre les cabinets rivaux.