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aussitôt M. de Rémusat ; elle est blessante pour nous, comme pour la nation elle-même. Si elle était fondée, elle nous compromettrait aux yeux du pays ; nous paraîtrions avoir capté la faveur de l’étranger. Et d’ailleurs, la distinction est fausse. Dans une assemblée élue par le suffrage universel, il y a solidarité, de fait comme de droit, entre le gouvernement et la nation, et si le premier est sage, il faut bien que la seconde le soit aussi. »

À ces considérations fort justes, M. de Rémusat en ajoutait d’autres qui ne l’étaient pas moins.

« Ces déclarations blessantes pour notre patriotisme, ajoutait notre ministre des affaires étrangères, sont généralement motivées par la violence de la presse ; mais la presse ne représente guère qu’elle-même. Elle n’est ni gouvernable, ni gouvernée. Celle d’Allemagne, comme vous l’avez dit justement, est plus menaçante, plus outrageante que la nôtre, elle est moins libre que la nôtre, et cependant nous n’avons jamais songé à nous faire de ses excès un argument d’accusation contre le peuple allemand. »

Répondant ensuite à l’argument contenu dans la dépêche et qui consistait à voir dans ce fait une raison de prolonger l’occupation allemande, M. de Rémusat disait : « Rien n’est plus contraire aux leçons de l’histoire, à la connaissance du cœur humain que de voir dans les violences que provoque l’occupation étrangère une raison de la prolonger. La durée d’une telle situation ne fait que la rendre plus irritante et moins supportable. Je me souviens positivement que, dans le courant de l’année 1818, les préfets des départemens frontières écrivaient que l’état des choses ne pouvait durer, et qu’il fallait absolument mettre un terme à l’occupation du territoire. »

Quelques jours auparavant, à propos de la même question, M. de Rémusat m’écrivait une autre lettre particulière dont j’extrais le passage suivant, qui assurément mérite de fixer l’attention :

« Il n’est pas d’une sage politique, me disait-il, surtout de la part de ceux qui ont été heureux dans la guerre, d’entretenir, d’exciter ainsi l’irritation naturelle et trop excusable de ceux qui ont succombé. L’occupation étrangère est une cause permanente de ressentimens et de représailles. Si le gouvernement, loin de l’abréger, l’aggrave ; s’il ajoute aux griefs populaires des avanies pour notre administration ; il peut provoquer en France des sentimens d’irritation, qui peuvent dégénérer en sentimens belliqueux. Son intérêt véritable est de se conduire de façon que la France aime mieux lui payer trois milliards que de recommencer une guerre que l’intérêt des deux pays commande également d’éviter. »