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le chancelier de l’empire germanique s’engager d’une manière définitive dans cette voie funeste. Quelle que soit la puissance du prince de Bismarck sur l’opinion allemande, les souvenirs des calamités de la guerre sont encore trop récens pour que, de gaieté de cœur, on puisse entreprendre ici une levée de boucliers contre nous, si nous ne fournissons pas de griefs plausibles à une attaque. En conservant le calme nécessaire, tout ce bruit s’apaisera de lui-même. Mais on ne saurait se dissimuler que si nous fournissions des prétextes quelque peu fondés à l’intervention de l’Allemagne, on les saisirait ici sans regrets. Nous avons affaire à un homme pour lequel la France est, à la fois, un remords et une excitation, une puissance vaincue et démembrée, mais non soumise, et dont la puissante vitalité lui apparaît comme une menace permanente dans l’avenir. Les apôtres de la revanche immédiate sont donc aujourd’hui les plus grands ennemis de leur pays, car, sous prétexte de rétablir la situation de la France en Europe, ils la conduiraient à une perte certaine. »

Pendant cette crise douloureuse, le choix du gouvernement français, pour l’ambassade de Berlin, s’était porté d’abord sur le comte Armand de Maillé, député à l’Assemblée nationale et, par suite de son refus, sur le vicomte de Gontaut-Biron, représentant la même fraction de la majorité. C’était un excellent choix à tous égards. M. de Rémusat, auquel j’avais demandé l’autorisation de m’absenter aussitôt après son arrivée à Berlin, me pria de rester quelques jours avec lui pour le mettre au courant des affaires de l’ambassade. Pendant les cinq semaines que je passai encore à Berlin, entre sa nomination et mon départ, je ne trouvai plus de difficultés d’aucune sorte et nous rencontrâmes partout le meilleur accueil, aussi bien du côté de la cour et du gouvernement que de celui de la société allemande. Il semblait que, par un accord tacite et qui est une bien grande force pour un pays, lorsque cet accord est possible, on voulût dédommager le premier envoyé français, venu à Berlin après la guerre, de la situation nécessairement très pénible que les événemens avaient dû lui imposer à certains momens.

Je n’avais pas été présenté à l’empereur et à l’impératrice d’Allemagne absens de Berlin pendant tout le cours de l’été, et qui venaient seulement d’y rentrer, depuis peu de jours, à l’occasion des fêtes de Noël. M. de Gontant devant arriver prochainement, j’aurais donc pu quitter Berlin sans les avoir vus. L’empereur tint à ce qu’il n’en fut pas ainsi. Afin de ne pas modifier les règles habituelles de l’étiquette diplomatique, qui accréditent seulement les chargés d’affaires auprès du ministre des affaires étrangères et non auprès du souverain, il pria la princesse Antoine Radziwill,