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volume, paraissant simultanément avec la Maupin, ne pourrait produire qu’un excellent effet. J’aurais mauvaise grâce à vous dire que mes vers sont très beaux, mais réellement ils ne sont point mal et ce sera probablement depuis les Feuilles d’automne, le meilleur recueil qu’on ait publié, si toutefois vous le publiez.

Adieu, santé et argent,

THEOPHILE, poète.


Jeudi, 2 avril.

P.-S. — N’allez pas prendre cela pour un poisson d’avril ; c’est très sérieux, hélas ! sérieux comme la mort, sérieux comme la vie !

Les deux livres publiés par Gautier chez Renduel parurent à deux ans de distance : les Jeune-France, romans goguenards, en 1833, et Mademoiselle de Maupin, double amour, en 1835. J’ai sous les yeux le traité par lequel l’auteur vendait ce roman destiné à faire tant de bruit moyennant quinze cents francs, payables deux cents francs par mois à partir de la mise en vente, ou bien en billets de Renduel dans les mêmes proportions, au choix de Gautier. Cet acte est du 10 septembre 1833, et l’auteur s’engageait à livrer son manuscrit complet avant la fin de février ; enfin, l’ouvrage devait être tiré à 1500 exemplaires, mais l’éditeur avait la faculté de diviser le tirage en deux séries. Ce ne sont pas là des conditions telles qu’un libraire en fait pour un livre dont il attend succès et profit : il est vrai que Renduel achetait à découvert et ne connaissait rien que la donnée principale du roman qu’il acceptait de publier. Autant de lettres de Gautier à Renduel, autant d’improvisations du tour le plus vif, d’une verve moqueuse intarissable. Le refrain est toujours le même : de l’argent ; mais il varie à l’infini sous sa plume. L’excellent Théophile n’était nullement embarrassé de crier misère, et il le faisait avec une telle faconde, avec un tel entrain qu’on se prend à rire avec lui. Tant de belle humeur repose un peu des froides demandes de Victor Hugo accumulant recettes sur recettes, des requêtes désespérées de Nodier implorant quelque avance de fonds qu’il perdra le soir même et des appels réitérés de Soulié criant : « J’en ai besoin, BESOIN ! »


23 mai 1833.

Célèbre libraire de l’Europe littéraire pour la France[1], M. Hugo désirerait vous voir vous-même en personne naturelle et non représenté par ambassadeur, pour conférer avec vous de l’insertion de l’article sur Han d’Islande, que je lui ai remis dernièrement, et comme j’ai eu la paresse de voiturer ma charogne de votre côté, je vous fais tenir cette épître scellée de mon simple sceau de cire rouge et vous souhaite cordialement le bonsoir.

  1. Allusion plaisante au titre officiel que la Société de l’Europe littéraire avait décerné à Renduel, chez qui se publiait ce luxueux recueil.