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leur travail et le plus utile emploi du produit qu’ils en ont retiré, certes nous serions avec M. le Président du Conseil. Mais le but est tout autre. La vie étant considérée comme un combat, — le mot revient à tout propos dans le discours de Lyon, — il s’agit de corriger la nature qui a le tort de faire les uns forts et les autres faibles. On prélèvera quelque chose sur les premiers, on en fera profiter les seconds. L’humanité sera traitée comme les chevaux de course et leurs jockeys auxquels, dans l’enceinte du pesage, on ajoute ou on enlève ce qui leur manque de poids ou ce qu’ils en ont de trop. Le gouvernement, au moyen de l’impôt, véritable baguette de fée, sera chargé d’opérer cette œuvre de péréquation. Tel est l’idéal que se fait le ministère radical socialiste du rôle qui lui incombe. Attendons le prochain budget ; attendons les lois sociales qu’on nous annonce. N’est-ce pas à ses actes que le gouvernement nous a demandé de le juger ?

Il n’en a jusqu’ici accompli qu’un seul qui tient à la fois à la politique intérieure et à la politique extérieure, et qui n’est pas plus heureux à l’un qu’à l’autre de ces points de vue : nous voulons parler de la mise en congé de M. Lefebvre de Béhaine, notre ambassadeur au Vatican. Voilà plus de treize années aujourd’hui que M. Lefebvre de Béhaine occupe le même poste ; on trouve sans doute que c’est beaucoup ; mais n’est-il pas, à première vue, vraisemblable que si le même homme, à travers tant de ministères différens, a pu conserver les mêmes fonctions, c’est qu’il les remplissait bien ? M. Lefebvre de Béhaine est un diplomate de carrière. Tout le monde se rappelle, car ces faits se rattachent à une des périodes les plus pénibles de notre histoire, le rôle qu’il a joué au lendemain de Sadowa, les négociations dont il a été chargé auprès de M. de Bismarck, et l’importante situation qu’il s’est créée à Berlin jusqu’au moment de la guerre. Au reste, M. de Bismarck lui-même a rendu justice à M. Lefebvre de Béhaine dans une de ses dépêches au comte d’Arnim, publiée a l’occasion du procès fait au malheureux ambassadeur. C’était au mois de décembre 1873. M. d’Arnim avait avisé le prince de Bismarck de l’intention du gouvernement de la République d’élever les représentans de la France à Munich et à Dresde au rang d’envoyés extraordinaires. « Je n’ai encore rien appris d’autre part à ce sujet, écrivait le chancelier de l’empire. Ce qui m’a surtout frappé dans votre rapport, c’est la supposition qu’un diplomate ambitieux et capable comme M. Lefebvre ait pu refuser l’importante légation de Washington pour rester à Munich ; ce serait une preuve évidente de l’importance que la diplomatie française attache encore aujourd’hui à ce poste. Je ne chercherai pas à résoudre la question de savoir si M. Lefebvre a réfléchi à la compensation qui résulterait pour lui d’un degré plus élevé dans la hiérarchie diplomatique. Peut-être a-t-il assez de dévouement pour son pays pour avoir plutôt pensé à la chose qu’à