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utile. A quoi servirait un ambassadeur, si ce n’était pas à recueillir les confidences de ce genre ? Si le pape ne pouvait pas l’entretenir de la loi sur les associations, et s’il devait se refuser lui-même à écouter son interlocuteur et à transmettre à Paris les détails de sa conversation, il faudrait être conséquent, et supprimer notre ambassade comme un rouage inutile. Les radicaux sont logiques lorsqu’ils demandent cette suppression ; le gouvernement ne l’est pas lorsqu’il maintient l’ambassade à la condition qu’elle ne serve à rien.

Et cela est d’une telle évidence que nous ne croyons pas le moins du monde aux motifs qu’on a donnés pour expliquer la mise en congé, peut-être la prochaine mise à la retraite de M. Lefebvre de Béhaine. Ces motifs sont trop puérils pour être pris au sérieux. La vérité est que, pour la première et non pas probablement pour la dernière fois, la politique intérieure du gouvernement pèse sur sa politique extérieure et la fait dévier. Là est le côté vraiment grave de la situation. Le gouvernement veut donner des gages aux radicaux ; or ceux-ci n’ont pas d’antipathie plus vive que celle qu’ils éprouvent contre la politique qui a amené à la république un si grand nombre de ralliés. Rien ne les choque, ne les révolte, et même ne les effraie plus que ce mouvement de concentration et d’union nationale, auquel, il faut bien le dire, le pape a imprimé une allure particulièrement nette et résolue. C’est ce jour-là surtout qu’ils l’ont accusé de se mêler de nos affaires, alors qu’il ne faisait, en somme, que protester contre la déplorable confusion que les partis inconstitutionnels s’obstinaient à faire des siennes propres et des leurs. Cette politique toute à l’honneur du pape Léon XIII, et la seule capable désormais de servir de sauvegarde aux intérêts religieux en France, cette politique à laquelle M. Lefebvre de Béhaine a collaboré de toute soin influence, elle est en horreur aux radicaux. Les ministères d’autrefois, même les plus médiocrement composés, même les plus déplorablement mélangés, n’ont pas cessé de la favoriser, et M. Lefebvre de Béhaine a été leur fidèle intermédiaire a Rome. Le cabinet actuel la désavoue. Les ralliés l’épouvantent ; il craint de voir corrompre par leur immixtion dans la République la pureté du « vieil esprit républicain », et pour un peu il leur dirait, comme au pape, de se mêler de leurs affaires. Celles du pays ne les regardent pas. Son plus ardent désir est de maintenir la division des Français en partis irréductibles, parce que les ralliés, s’ils acquéraient droit de cité dans la République, risqueraient d’apporter leur concours aux modérés et que les radicaux s’en trouveraient proportionnellement affaiblis. Voilà où nous en sommes. Voilà à quelles suggestions le gouvernement obéit. Mais ici encore il n’a pas pris ses adversaires en traître. Il a parlé avant d’agir. Il a mis sa conduite d’accord avec son langage. Il s’était ouvertement proposé de reconstituer le parti républicain sur ses bases anciennes et étroites, et d’en refaire