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d’opérer en dehors d’eux une médiation collective en notre faveur ? En tout cas, c’était la dernière lueur d’espoir, le dernier atout qui restât dans notre jeu. Convenait-il de le mettre de côté sans examen ?

À cet argument, on me répondit que la proposition de la conférence était d’origine prussienne, et que, dans l’état d’exaspération où était alors notre pays, cette circonstance suffisait pour rendre l’idée impopulaire. Et puis, ce qu’on ne pouvait m’écrire, mais ce que tout le monde sentait, c’est que, par le fait des circonstances, entre la majorité du gouvernement de la Défense bloquée dans Paris et la délégation de Tours, allant bientôt émigrer à Bordeaux, et correspondant tant bien que mal avec Paris, par pigeons voyageurs ou par ballons, aucune entente sérieuse n’était possible. Que représentait d’ailleurs le gouvernement de Paris, en dehors des strictes nécessités de la défense auxquelles il avait dû limiter sa tâche ? Que savait-il du dehors, privé depuis deux mois de toute communication régulière avec l’extérieur ? Et puis, quel serait notre plénipotentiaire ? Il y en avait un tout désigné sans doute par l’opinion du pays et accrédité d’avance auprès de l’Europe, c’était M. Thiers. Mais depuis que l’insurrection du 31 octobre avait si malheureusement paralysé ses efforts, M. Thiers se recueillait, ou pour mieux dire il boudait le gouvernement de la Défense. M. Jules Favre était enfermé dans Paris, et il avait été d’ailleurs malheureux dans sa négociation de Ferrières. L’attitude et le rôle de M. Gambetta depuis l’origine de la crise ne permettait d’espérer tout au plus que sa neutralité, quand il s’agissait de pourparlers pacifiques. M. de Chaudordy était nécessaire à Tours pour y entretenir les rapports journaliers avec le corps diplomatique qui l’y avait suivi. Il n’y avait donc dans les hommes du gouvernement personne de disponible au dehors pour remplir cette tâche difficile, et pourtant il fallait se décider.

Voyant nos embarras s’aggraver d’heure en heure et pressé par le gouvernement russe qui demandait une réponse, je suggérai à M. de Chaudordy, qui l’approuva, l’idée de laisser la circulaire du prince Gortchacow sans réponse officielle et de faire demander en même temps par l’intermédiaire de lord Lyons ou du chargé d’affaires de Russie des sauf-conduits qui permissent à la délégation de Tours de communiquer avec Paris et de s’entendre sur la conduite à suivre et la désignation de notre plénipotentiaire. Nous pouvions ainsi esquiver une réponse directe embarrassante, ne pas désavouer notre passé diplomatique, ne blesser ni la Russie, ni l’Angleterre, et avoir le temps de trouver peut-être un négociateur qui pût figurer à la conférence et plaider nos intérêts avec quelque autorité. Ces idées prévalurent au sein