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avec la même vraisemblance pour l’une ou l’autre solution. » Il en mentionne aussi qui ont été probablement créées de toutes pièces sous les Mérovingiens pour répondre à des besoins nouveaux. Il s’applique surtout à distinguer les lentes métamorphoses qu’ont subies du Ve au IXe siècle les idées, les mœurs, les lois, les coutumes, soit indigènes, soit exotiques, de la Gaule, et il nous livre le fond de sa pensée dans ces phrases si prudentes : « Il se peut que l’invasion germanique ait engendré le régime féodal, les envahisseurs l’ayant, apporté avec eux et imposé par la force à des populations vaincues et asservies. Il se peut encore que les deux événemens, bien qu’ils fussent simultanés, n’aient eu aucune action l’un sur l’autre, et que le régime féodal soit né de causes étrangères à l’invasion, de germes qui existaient avant elle. Il se peut enfin (et c’est là manifestement l’opinion de M. Fustel) que la vérité soit entre ces deux extrêmes, que l’entrée des Germains dans les pays de l’empire n’ait pas été la cause génératrice de cette grande révolution sociale, mais n’y soit pas non plus demeurée étrangère, que les Germains y aient coopéré, qu’ils aient aidé à l’accomplir, qu’ils l’aient rendue inévitable, alors que sans eux les peuples y auraient peut-être échappé, et qu’ils aient imprimé à ce régime quelques traits qu’il n’aurait pas eus sans eux[1]. » Je demande où est dans tout cela le romaniste à outrance, le disciple attardé de Dubos. En réalité, parmi tant d’historiens qui ont étudié ce sujet, nul n’a été plus circonspect que M. Fustel de Coulanges. Il a commis des erreurs, comme tout le monde ; il a obéi quelque peu à l’esprit de système, moins toutefois qu’on ne l’a dit ; il a cédé par endroit au désir de rabaisser l’influence germanique. Mais, si l’on excepte certaines théories hasardées ou radicalement fausses, l’ensemble du tableau paraît être d’une entière exactitude. Ce livre, où tout n’est point de lui, mais où il y a beaucoup de lui, n’est pas seulement une de ces œuvres qui provoquent la réflexion par tout ce qu’elles renferment d’imprévu, d’original, et même d’aventureux ; il donne encore la solution d’une foule de problèmes petits et grands, et il laisse peu de chose à faire aux travailleurs.


IV

M. Fustel ne serait pas le grand esprit qu’il a été, s’il n’avait eu un système de vues bien liées sur le développement de l’humanité. Il n’a point écrit de discours sur l’histoire universelle ; mais il a eu sur l’histoire et sur l’homme social des opinions très

  1. Revue des Deux Mondes, 15 mai 1873.