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occasions d’en ressentir les avantages ou les inconvéniens. Quelle que soit notre condition, il n’y a pas de jour où elles ne soient pour nous une gêne ou une protection. Elles se mêlent intimement à toute notre existence. Ce sont des instrumens dont nous sommes obligés constamment de nous servir, et nous exigeons qu’elles s’adaptent le mieux possible à l’usage que nous en voulons faire. Or, qu’attendons-nous d’elles avant tout, si ce n’est la garantie de nos biens et de notre vie ?

Une conception aussi réaliste de l’histoire conduit le plus fréquemment au pessimisme. Tel n’est pas le cas de M. Fustel de Coulanges. Si le spectacle de la dépravation d’une société lui arrache par moment un cri de tristesse, presque toujours c’est vers l’optimisme qu’il incline. Il lui répugne d’imputer aux hommes des sentimens malhonnêtes et des passions viles. Il est convaincu qu’Auguste n’a mis aucune hypocrisie dans l’organisation du pouvoir impérial, que l’adulation n’a été pour rien dans l’apothéose des empereurs et que ce culte est né d’une explosion spontanée de reconnaissance, que les patriciens n’ont jamais formé le projet d’opprimer la plèbe, que les privilégiés sont peu soucieux de défendre leurs privilèges, qu’ils les subissent plutôt qu’ils ne les accaparent, et qu’ils s’empressent d’y renoncer dès qu’ils en ont la liberté. Il doute que la force soit capable de créer ou de maintenir un régime quelconque. Si un gouvernement, même très imparfait, a une certaine durée, cela prouve qu’il est aimé des populations. Si les Gaulois ont changé de mœurs, de religion, de langue, ce n’est pas par contrainte, c’est par goût et par intérêt. Ce parti pris d’indulgence est tel qu’en l’absence de tout renseignement précis sur la lourdeur des impôts vers la fin de l’Empire romain, il conjecture qu’ils devaient « être à la richesse publique de ce temps-là ce que les impôts d’aujourd’hui sont à la nôtre. » Il n’a garde de passer sous silence les épouvantables fléaux qui accablèrent notre pays du IVe au IXe siècle ; il accorde qu’il y eut alors de grandes iniquités et de grandes souffrances ; il dit que le trait distinctif des quatre-vingts années qui suivirent Charlemagne, c’est que chacun tremblait journellement « pour sa moisson, pour son pain, pour sa chaumière, pour sa vie, pour sa femme et ses enfans », que l’âme se trouva alors en proie « à une terreur sans trêve ni merci », et que cette absence complète de sécurité engendra un immense « besoin d’être sauvé » par l’appui des seigneurs féodaux. Malgré tout cependant, il semble qu’il atténue un peu trop la part de la violence dans cette période de cinq siècles et qu’il exagère la régularité du développement de nos primitives institutions.

C’est qu’en effet, pour quelqu’un qui examine les choses de