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retraite. On peut discuter son attitude, l’approuver ou la critiquer, mais il est injuste de dire qu’elle équivaut à une abdication, et que, dès lors, le conflit est terminé. Nous croyons, au contraire, qu’il est plus vif que jamais, et qu’il durera autant que le ministère lui-même. Que pouvait faire le Sénat ? Son droit constitutionnel était incontestable, mais comment en assurer le respect ? Le ministère a déclaré qu’il n’en tiendrait pas compte et que, aussi longtemps qu’il aurait la majorité à la Chambre, il resterait en fonctions. C’est là une situation toute nouvelle. Il est déjà arrivé, nous l’avons dit, à des ministères d’être battus au Sénat sans s’être crus obligés de donner leur démission ; mais c’est parce que le Sénat le voulait bien ainsi, et qu’il n’attachait pas à ses votes une signification de défiance complète, radicale, définitive. Il n’en est pas ainsi de ceux qu’il vient d’émettre contre le cabinet Bourgeois. On ne peut pas se méprendre sur leur intention : le Sénat a certainement voulu condamner le ministère, et il était en droit de lui refuser désormais tout concours. Peut-être aurait-il dû le faire ; la situation y aurait gagné en clarté. Tout le monde l’aurait approuvé si, sans se mettre en grève, ce qui aurait été de sa part une attitude quasi révolutionnaire, il avait suspendu ses séances en chargeant son bureau de le réunir lorsqu’il y aurait lieu de le faire. L’occasion se serait d’ailleurs présentée très vile. La Chambre vient de voter un crédit d’un million affecté aux dépenses de notre ambassadeur au couronnement du tsar Nicolas II. L’opinion n’aurait pas admis que le Sénat, sous prétexte de conflit, ne votât pas cette somme. Son président l’aurait donc convoqué pour le faire, et le Sénat, aussitôt après l’avoir fait, aurait levé sa séance. On aurait parfaitement saisi son intention de ne rien arrêter de ce qui est nécessaire à la vie nationale, mais de ne plus se prêter avec le ministère actuel à des rapports dont la forme peut tromper, puisqu’elle est de nature à faire croire à une collaboration devenue impossible. Au lieu de cela, qu’a-t-on fait ? M. Demôle avait d’abord annoncé l’intention d’interpeller le gouvernement sur l’observation de la loi constitutionnelle. Il y a renoncé et il n’a pas eu tort. Une telle interpellation aurait eu l’inconvénient de donner au débat un caractère tout théorique ; la haute assemblée aurait eu l’air de discuter une question d’école, sans avoir le moyen de consacrer son vote final par une sanction positive. Elle aurait eu beau décider que le ministère devait se retirer, le ministère aurait persisté à n’en rien faire et à demander à la Chambre un appui que celle-ci, piquée au jeu, aurait peut-être continué de lui prêter. Il est dangereux de tendre outre mesure les ressorts d’une constitution, surtout lorsqu’ils ne sont peut-être pas très solides. Le Sénat a préféré voter une déclaration dont M. Demôle a donné lecture, tant en son nom qu’au nom des présidens des groupes républicains modérés. Cette déclaration est d’ailleurs bien faite. Elle est sévère et même