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me rappelle pas un seul tableau de Gherardo delle Notte. Le diamant de l’exposition, à mon avis, c’est le groupe des Trois Grâces de Raphaël, appartenant à lord Ward. Il paraît que c’est une traduction de l’antique, mais je parierais que cela est supérieur à l’original. La beauté est poussée à ce point que ces trois femmes nues sont respectables : ce sont des déesses. Le mal de cette exposition, c’est que peu de gens y ont envoyé leurs meilleurs, tableaux. Quelques-uns, comme mon ami lord Ashburton, n’y ont rien envoyé du tout ; d’autres, comme le marquis de Westminster, se sont contentés d’offrir quelques tableaux de second ordre, pour faire preuve de bonne volonté. Puis, un assez grand nombre d’olibrius ont envoyé des cart loads, d’affreuses copies, qu’il a bien fallu accepter et exposer avec le nom dont il a plu aux propriétaires de les baptiser. C’est ainsi qu’à côté des Grâces de lord Ward, il y a une Vierge à la perle, qualifiée de répétition de celle de l’Escurial, et qui est une copie faite par un ramoneur de cheminées. Tout cela coûtera environ 1 500 000 francs à la compagnie qui a inventé l’exposition ; mais ne les plaignez pas ! car outre qu’ils ont la satisfaction d’avoir fait une chose utile à leur pays, les infortunés sont si riches que 1500 000 francs de plus ou de moins ne les affecte guère.

J’ai vu souvent à Londres un clos grands manufacturiers de Manchester et l’un des principaux metteurs en train de l’exhibition, qu’on a fait lord Overton récemment, et qui est un homme sensé, bien qu’il ait, dit-on, 150 000 livres sterling par an. Il a en outre une fille unique qui est assez jolie et qui a 19 ans. Je ne lui ai offert ni mon cœur ni ma main. Pendant mon séjour à Londres, je suis allé beaucoup dans le monde. Je ne puis dire que je m’y suis fort amusé. « J’ai voulu voir ; j’ai vu. » On a imaginé depuis peu de donner à déjeuner. En sorte que lorsqu’on se lance un peu, la journée commence à dix heures. On déjeune donc, puis on va voir les gens parlementaires et les sights jusqu’à ce qu’il soit l’heure du luncheon, qui est nécessaire après les déjeuners frugaux qu’on fait. Il faut connaître un peu les gens pour aller leur demander un luncheon. Puis on recommence les visites et on ne trouve personne, après quoi on va dîner. J’ai dîné avec beaucoup d’impartialité chez les whigs et chez les tories, et toujours j’ai eu le même dîner. C’est après la vingtième soupe à la tortue et le vingtième haunch of venison que j’ai compris la torture à laquelle l’Empereur a soumis la conférence, en la condamnant pendant un mois de suite au même dîner. Vous ne sauriez croire le plaisir que j’ai eu de m’échapper un jour et d’aller manger un dîner de cabaret. Il m’a semblé qu’il y avait en Angleterre le même abaissement de