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pas vous scandaliser, encore moins troubler vos convictions. Il n’y a que deux manières d’être convaincu, par le raisonnement ou par l’instinct. J’ai essayé du raisonnement, qui me donne une solution diamétralement opposée à ce que je désirerais, et je n’ai pas d’instinct. Je suis sceptique malgré moi, et ce qu’on appelle la foi est chose qui m’est tout à fait étrangère. Vous qui la portez jusqu’à l’enthousiasme, vous ne comprendrez peut-être pas comment on peut en être dépourvu à ce point. Mais quel remède ? Autant que je puis le croire, les organisations poétiques y sont accessibles. La mienne est au contraire des plus prosaïques. Par une contradiction très fâcheuse pour ma fortune, je ne sais pas pratiquer ma prose, je veux dire en tirer parti pour me pousser dans ce monde où poètes et prosateurs aiment tant leurs intérêts matériels. Je trouve que vous êtes sévère pour Mme de M… Cela ne fait de tort à personne, et si elle aime M. P… elle a raison. Son mari était un fort beau garçon, qui avait été parfaitement élevé par la vicomtesse de N… Elle lui avait appris à être dans le monde aussi gentlemanlike qu’il faut. Elle avait toléré, ce qui me surprenait de sa part, car j’en avais une très haute idée, — de Mme de N…, — elle lui avait permis de faire des affaires et de glaner quelques coupons derrière M. de Rothschild. Je vous avoue que j’aime mieux voir une duchesse épouser le précepteur de ses enfans (ce qui n’est pas le cas) qu’un duc vendant avec profit des actions de chemin de fer à un marquis, son ami intime. Les gens du XVIe siècle, dont Brantôme me raconte l’histoire, étaient en général de grands coquins. Ils volaient, pillaient, mais tout cela hardiment, à la face du soleil, ignorant qu’il y eût une autre manière de vivre en ce monde. A tout prendre, j’aime mieux le duc de Guise que le duc un tel, présidant un comité d’administration de la Société centrale pour l’épuration de l’huile à quinquet.

En fait de platitude, que vous semble du prince de Bavière et de sa nouvelle femme, qui vont se faire grecs pour être un jour rois de Grèce, j’entends grecs de religion. Ce n’est pas que je dise du mal de la religion grecque. Elle a sur le catholicisme l’avantage d’avoir conservé les rites anciens ; de n’avoir admis aucune réforme ; et politiquement d’être plus pratique, le souverain étant pape en même temps. Adieu, madame, je vais faire tous mes efforts pour vous trouver lord Mahon. Mais ne vous attendez pas à quelque chose de poétique. Cela est très exact, très vrai et très simple. Il dit toute la vérité. Vous voudriez qu’on n’en montrât qu’un côté. Je ne puis être de votre avis sur ce point. L’histoire est à mes yeux une chose sacrée. Le bien et le mal doivent aller ensemble.