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Barras, Rewbell, La Revellière, sont en guerre avec deux autres, Carnot et Barthélémy. Guerre ouverte, sous forme d’altercations violentes qui éclatent entre eux à tout moment, et qui, de l’aveu même de Barras, transforment leurs délibérations en « combats de gladiateurs dans l’arène[1]. » Guerre occulte, au moyen de venimeux articles de journaux qu’ils inspirent, de bruits périodes qu’ils sèment les uns contre les autres. Barras a sa police secrète, dirigée par un maître en la matière, Fouché, qui espionne pour lui Directeurs, ministres, députés, et lui adresse chaque jour des rapports[2]. Et comment n’en aurait-il pas, « lorsque chacun avait sa police et sa contre-police… lorsque nous n’étions sûrs d’aucun de nos ministres ? »

Carnot et Barthélémy sont chassés, proscrits. L’harmonie va régner sans doute entre les Cinq. La glorieuse épuration du 18 Fructidor n’a pas encore un mois de date, que déjà les dissensions recommencent : « On m’insinue que le nouveau Directeur, Merlin, veut me perdre ;… Rewbell et La Revellière m’en voudraient aussi beaucoup, suivant certains rapporteurs[3]. »

Et il en sera de même jusqu’à la fin. La discorde est tellement l’essence du régime, que le personnel gouvernemental a beau changer, se renouveler, soit par le tirage au sort légal, qui rend vacante chaque année la place d’un des Directeurs, soit par les coups d’Etat : les divisions, les conflits mesquins d’ambition, de vanité, d’intérêts, recommencent aussitôt entre ces cinq hommes. Ils se haïssent et se méprisent. On verra comment Barras, au cours du tome III de ses Mémoires, traite ses collègues. Je me contenterai de citer ces quelques lignes sur Merlin : « À la même époque, on me remit une pièce, de la main de Merlin, qui aurait pu l’impliquer dans une association de fournitures très peu honorable. Je dois à la vérité de ne pas émettre une pareille assertion sans produire la pièce[4]… »

Carnot n’a pas une police qui lui procure, — Dieu sait par quels moyens ! — des papiers compromettans pour ses collègues. Mais, moins bien documenté que le prudent Barras, il n’est pas plus indulgent : « Cet homme (Barras), sous l’écorce d’une feinte étourderie, cache la férocité d’un Caligula… Rewbell était constamment le patron des gens accusés de vols et de dilapidations ; Barras, celui des nobles tarés et des pourfendeurs ; La Revellière,

  1. Mémoires de Barras, t. II, p. 512. Voir la lettre où Lavalette rend compte à Bonaparte d’une séance du Directoire (thermidor an V).
  2. Mémoires de Barras, t. III, p. 10 à 13.
  3. Id., t. III, p. 64.
  4. Id., t. III, p. 322.