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solde son armée ; avec l’autre, il aide, entretient le gouvernement[1]. Le glorieux général de l’armée de Sambre-et-Meuse fait de même : Hoche met, lui aussi, de l’argent à la disposition du Directoire[2], et cet argent ne paraît pas avoir une provenance autre ni plus avouable que les millions expédiés à Paris par son collègue de l’armée d’Italie. Le plus répugnant des spectacles nous est ainsi offert : des généraux vainqueurs qui rançonnent impitoyablement les vaincus ; un gouvernement qui encourage ces déprédations, puisqu’il ne rougit pas d’en percevoir la dîme. S’ils revenaient parmi leurs successeurs, Marceau et Dugommier devraient se voiler la face. Exactions et rapines sont désormais mœurs courantes dans les armées, comme dans l’administration, comme dans le gouvernement de la République. A tous ceux qu’il emploie, le Directoire communique la tare d’improbité qui est en lui.


VI. — L’ESPRIT PUBLIC : LASSITUDE ET DECOURAGEMENT UNIVERSELS ; DÉCADENCE DE L’IDÉE RÉPUBLICAINE

Cependant, le pays souffre chaque jour davantage.

La Terreur frappée à mort avec Robespierre, on a cru que la crise financière allait cesser ; et cette idée ne fut certainement pas étrangère à la sensation de délivrance que la nation éprouva en apprenant le 9 Thermidor. Car, de même que la Bastille avait été le symbole de l’ancien régime, Robespierre avait fini par incarner aux yeux de la France le système terroriste et toutes ses violences, y compris celles de sa fiscalité.

Vain espoir ! Le pouvoir est aux mains des hommes qui ont tué Robespierre, et la crise financière dure toujours, puisque le duel engagé entre la Révolution et l’Europe, — cause profonde de cette crise, — n’est pas terminé. Et non seulement elle dure, mais elle rappelle par son intensité, comme aussi par le caractère des remèdes qu’on emploie pour la conjurer, les plus sombres jours du régime jacobin dont la France s’est crue délivrée. Conversion des assignats en mandats territoriaux, bientôt discrédités

  1. Voir Mémoires de Barras, t. III, p. 96 et 248 à 251. « Jusqu’en frimaire an V, sous le rapport financier, l’armée, en Lombardie, avait été habillée, nourrie et payée, un arriéré considérable avait été soldé, et quelques millions avaient été successivement remis au gouvernement français. La Lombardie seule avait procuré ces ressources, à l’exception de cinq millions payés par le Pape (p. 250)… »
  2. Voir t. II, p. 498. Quelques jours avant le 18 Fructidor, Hoche a dit à Barras : « Vous êtes ici sans argent : vos deux collègues m’en ont fait l’aveu. J’ai quelques fonds à l’armée : je puis vous adresser quelques mille louis dont le Directoire peut avoir besoin dans la circonstance. »