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pourrait bien faire aussi des désignations dangereuses et pour y remédier on décida qu’extraordinairement le ministre de la justice pourrait nommer les présidens d’assises.

La formule du texte qui nous régit encore était enfin trouvée. Il résulte pourtant de cette loi du 20 avril 1810, « que le droit de nomination appartient ordinairement au premier président et extraordinairement au ministre. » Mais il était certain que de zélés commentateurs auraient vite fait de retourner la proposition, et il fut bientôt admis sans conteste que le premier président ne nommait les présidens d’assises que comme suppléant le ministre de la justice. Cela revient à dire que le choix appartient au ministre éclairé par ses procureurs généraux.

Ainsi, dans ce pays, s’achèvent et se concluent souvent par des mesures autoritaires les discussions les plus brillantes et les plus libérales. Et il est à la fois triste et intéressant d’observer avec quelle ardeur les gouvernemens successifs, quel que soit le principe au nom duquel ils se sont substitués au précédent, observent fidèlement les mesures de cette sorte. Le gouvernement impérial, au témoignage de plusieurs contemporains dignes de foi, fit rarement usage du droit de nommer les présidens d’assises. La Restauration, au contraire, obéissant à cette funeste tendance qui, dans les temps troublés, pousse les gouvernemens à s’emparer du pouvoir judiciaire comme d’une arme de guerre à leur usage, adopta pour règle constante ce qui jusque-là n’avait été qu’une faculté.

A la fin de ce régime, les premiers présidens n’étaient même plus consultés, et « le gouvernement montra dans ses choix une telle prédilection pour certaines opinions, que l’on parut craindre que la politique et la justice ne vinssent à contracter une dangereuse alliance. »

L’alliance était faite et devait être durable. Vainement, à l’aurore de la monarchie de Juillet, le parti libéral fit-il un valeureux effort pour la dénouer. Un député, discutant le mode de nomination du président d’assises, s’écria : « C’est là une des mille preuves de la volonté du gouvernement impérial de tenir dans sa dépendance tous les pouvoirs de l’Etat. » Il y eut un long débat. Si la Charte confère au roi le droit de nommer les juges, dit un orateur, « elle ne lui donne pas celui de les désigner pour prononcer sur un fait consommé ou sur une cause particulière ; autrement elle autoriserait la création de commissions judiciaires, contre lesquelles la nation a constamment protesté, parce que, du naufrage général de ses droits, elle a du moins sauvé cette règle tutélaire, cette maxime protectrice : que nul, en France, ne doit recevoir ses juges que de l’indication de la loi. »