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questions que Bonaparte ne soupçonnait pas s’y sont dressées, et il semble que des magistrats éminens pourraient utilement employer leur vie à étudier les problèmes moraux et sociaux que cette science soulève.

Mais nous sommes restés si étrangement stationnaires en ce siècle au point de vue des institutions judiciaires, que l’opinion exprimée par Napoléon règle encore les habitudes des gens de loi d’aujourd’hui. On dédaigne les problèmes du droit pénal, et ce ne sont point des criminalistes, mais des civilistes qui président notre Cour d’assises.

Sont-ils aptes à remplir cette tâche ?

Si l’on en croit Garofalo, les juges civils sont moins aptes que tous autres fonctionnaires du gouvernement au travail du juge criminel :

« Accoutumés par le genre de leurs études à faire abstraction de l’homme, ils ne s’occupent que des formules. Car le droit est complètement indifférent à tout ce qui regarde le physique et le moral des individus ; la bonté ou la méchanceté d’un créancier ne saurait avoir la moindre influence sur la validité de sa créance. Ce caractère strictement juridique est très éloigné de la science pénale, qui a pour but de lutter contre une infirmité sociale, le délit. Les points de contact sont rares entre les deux branches, qui sont pour nous deux sciences tout à fait différentes. Pourquoi donc se servirait-on des mêmes fonctionnaires dans deux services publics essentiellement étrangers l’un à l’autre ? Le membre d’un tribunal civil, appelé à juger en matière pénale, garde toutes ses habitudes ; ce n’est pas l’individu qui attire son attention ; c’est la définition légale du fait qui le préoccupe… L’opération qu’il exécute pour infliger la peine est presque mécanique. C’est de l’arithmétique qu’il se sert. Il dénombre les circonstances, les additionne ou les soustrait les unes des autres, et applique au résultat le tarif qu’il trouve tout prêt… Enfin, le juge oublie facilement que la peine qu’il infligera doit, avant tout, servir à quelque chose ; qu’on atteint l’utilité par des moyens divers selon les individus et que, partant, c’est précisément l’examen des individus qui doit déterminer l’espèce et la mesure de la peine. »

Mais on ne songe guère à ces raffinemens, et à la façon dont on juge les affaires correctionnelles, c’est-à-dire les neuf dixièmes des affaires criminelles, on voit bien que notre justice on est restée aux vues de Napoléon. « Allez à l’audience correctionnelle, dit M. Tarde, ni l’avocat ni le juge ne remarquent les graves problèmes posés par ces malheureux et ne croient utile d’interroger à fond leur passé, de consulter à leur sujet parfois un bon médecin légiste, un vieux gardien de prison, de faire