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devant toutes les juridictions, au civil comme au criminel.

Les Anglais n’accepteraient jamais une institution qui, ainsi étendue, pourrait devenir une puissante ventouse, chargée d’absorber au profit de l’Etat le pouvoir judiciaire. En France, les plus grands admirateurs de notre institution nationale du ministère public, ceux qui sentent le plus vivement ses bienfaits, sont cependant amenés à craindre que des empiétemens successifs ne l’aient quelquefois conduit à sortir de ses limites normales, et à porter ses pas sur le terrain du juge. Il n’est pas inutile à ce sujet de répéter ce qu’a pu écrire il y a quelques années M. Guillot, dans ses Principes du Nouveau code d’Instruction criminelle :

« La première condition d’une bonne organisation de l’instruction criminelle, c’est que le ministère public, étroitement renfermé dans son rôle, ait les moyens légaux de soutenir les intérêts de la société, sans avoir le pouvoir de diriger lui-même les investigations du juge, de le tenir sous sa dépendance. »

Cela est vrai à notre audience, autant que dans le cabinet du juge d’instruction. Il ne faut pas, à la Cour d’assises, que « la partie publique » puisse être soupçonnée de tenir en aucune façon le juge sous sa dépendance. A confondre les attributions de ces deux magistrats, à développer leur influence réciproque, on ne peut aboutir qu’à les affaiblir tous les deux.

Regardons maintenant la carrière antérieure du représentant du ministère public.

Comme le juge, il vient du civil, et s’apprête à y retourner. Comme lui, il subit le service de la Cour d’assises comme une épreuve passagère. Et cependant cette préférence du civil est moins explicable de la part de l’avocat général que de la part du président. Au civil, en effet, dans la plupart des affaires, il n’est pas très utile de faire entendre la voix du porte-parole de la Société. Au criminel, au contraire, il est fort important que l’accusation soit soutenue. Et c’est cependant au civil que le Parquet réserve ses troupes les plus fraîches, ses forces les plus vives. L’avocat général sera déchargé du service des assises après une seule année.

Or, n’est-ce pas précisément après une année que l’expérience acquise pourrait porter ses fruits ?

J’imagine qu’un avocat général parvenant à cette fonction difficile qui consiste à prendre la parole au nom de la société dans les procès criminels de Paris, est bien forcé d’abord de subir le milieu, de s’abandonner aux courans et aux traditions qui le saisissent dès son entrée dans cette audience. Il ne dégage point