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Cet orateur est long… Qu’on se garde de l’interrompre ! il n’abrégerait guère et semblerait persécuté ! Faudrait-il cependant rétablir la clepsydre et limiter le temps des plaidoiries ? Je doute que les magistrats de la Grèce et de Rome aient gagné grand’chose à ce procédé, qui devait allumer de terribles querelles entre les juges et le barreau ! Cicéron se plaint amèrement qu’un certain jour, on ne lui ait accordé qu’une demi-heure à peine. Aujourd’hui le président d’assises écoute avec déférence, même si ce n’est pas Cicéron qui plaide ; il supporte les allocutions les plus étendues, les plus chargées peut-être de ces citations inutiles dont Henri Heine, ce railleur sans respect, comparait l’effet dans le discours à celui des « raisins piqués dans le baba. »

Tout est long à la Cour d’assises et tout est surchargé de solennelles redites. Après les longueurs infinies de l’acte d’accusation, de l’interrogatoire, de tant de cérémonies, l’avocat semble encore modéré s’il sait tant soit peu se borner. Le goût du développement oratoire est le produit naturel de la machine judiciaire telle qu’elle est actuellement organisée. Ainsi qu’un moulin produit de la farine, cet organisme produit de la rhétorique, et il faudrait le modifier dans son ensemble pour modifier ce produit. Ainsi notre avocat peut plaider longuement.

Mais a-t-il le droit de tout dire ?

On connaît le texte menaçant de l’article 311, mais un texte au Palais vaut bien peu par lui-même : il s’agit de l’interpréter. Nos voisins d’Angleterre, qui aiment pourtant la liberté, enferment l’avocat dans certaines limites. Leur principe (que nous indiquons seulement) est qu’il n’est point permis à l’orateur de troubler le jury et de chercher à « obtenir un verdict sans le secours de la preuve. » D’où il résulte que l’avocat, celui de la défense comme celui de l’accusation, « doit s’abstenir de rien avancer qui ne soit de nature à être confirmé par une preuve légale. »

Cette règle, on s’en aperçoit, diffère singulièrement des usages établis à notre Cour d’assises ! Qu’un avocat anglais s’avise de dire au jury qu’il est « omnipotent », qu’il est « juge des lois », qu’il lui appartient de « faire grâce », il encourra un sévère rappel à l’ordre. Chez nous la loi elle-même, dans un texte vague et sentimental que nous avons analysé, peut prêter à une équivoque. En recommandant aux jurés de juger uniquement d’après leur impression et leur intime conviction, elle semble permettre à l’avocat de les placer au-dessus de la loi, dans le domaine du caprice.

Puis surtout (c’est là le point central auquel il faut toujours revenir) comment un président qui a semblé pendant un long