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les historiens, français aussi bien qu’allemands, que ce renversement des alliances avait été la faute capitale du règne. Cela même était au centre de la politique de Louis XV ; c’est ce qui lui donnait son caractère et qui en faisait la condamnation. D’ailleurs, sur ce fait si important, on n’avait que des renseignemens très incomplets, appuyés sur des anecdotes suspectes. Des commérages de Duclos, le récit intéressé de Frédéric lui-même, tel était le double témoignage qu’on ne songeait pas à récuser. La légende accréditée faisait retomber sur Mme de Pompadour la responsabilité d’une si grave affaire. C’est elle qui, blessée par les sarcasmes de Frédéric, aurait entraîné toute la France dans sa querelle. Sa rancune aurait été savamment exploitée par la cour autrichienne ; et c’est Marie-Thérèse elle-même qui avait entamé l’affaire dans la fameuse lettre adressée à la maîtresse du roi et où elle assurait sa chère amie de son estime et de son amitié. On en citait les termes avec assurance, comme si l’autographe en eût été vu quelque part. L’arrangement avait été conclu en quelques heures dans cette maison de Babiole dont le nom même semblait une ironie, par les soins d’un prélat bel esprit dont Frédéric avait raillé les vers. « Il n’en avait pas fallu davantage pour faire oublier au petit-fils d’Henri IV et de Louis XIV toutes les leçons politiques de ses illustres aïeux et lancer notre patrie dans une sanglante et désastreuse aventure. Rien de plus triste pour l’histoire de l’ancienne France, mais rien de mieux fait pour fournir matière soit à des contes grivois, soit à des déclamations révolutionnaires. De là, sur la fatale influence des faiblesses royales et des intrigues de cour, un concert d’abord d’épigrammes, puis de tirades démocratiques, enfin d’imprécations populaires, suivant jusqu’au pied de l’échafaud la princesse infortunée dont le seul crime fut, étant née fille d’Autriche, d’être montée sur le trône de France. » Tel est le chemin que suivent les idées. La conception maîtresse de notre politique avait passé du cerveau des hommes d’Etat dans le cœur de la nation, pour y prendre la forme d’une haine irréfléchie et aveugle.

M. le duc de Broglie, voilà quelque vingt ans, à l’époque où il composait son curieux livre : le Secret du roi, émettait le premier des soupçons sur la valeur des témoignages relatifs à la négociation de l’alliance autrichienne et sur la signification elle-même de ce grand acte. Depuis lors, la publication des souvenirs de Bernis, les travaux de M. d’Arneth sur l’histoire de Marie-Thérèse, les renseignemens fournis par les éditeurs de la correspondance politique de Frédéric II, sont venus confirmer pleinement ses suppositions et lui ont permis de jeter une pleine lumière sur la question. Dans le volume qu’il intitule : l’Alliance autrichienne, il rétablit les faits et il les explique ; il montre par quel enchaînement de causes, et aussi à