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préjugés, s’obstinent à nous faire plusieurs Frances, une France de l’ancien et une France du nouveau régime, afin d’exalter l’une en dénigrant l’autre ! Non, ces mutilations sont impies : une grande nation est un être chéri et glorieux, dont la vie se prolonge à travers les siècles ; et dans le passé comme dans le présent, tout ce qui la grandit ou l’honore, comme tout ce qui l’afflige ou la blesse, vient toucher les mêmes libres du cœur chez ses véritables enfans ! » De telles pages trahissent l’émotion et les angoisses du Français ; nous ne sommes guère tenté de les reprocher à l’historien au nom de je ne sais quel devoir d’impassibilité. Ici et là d’autres inquiétudes se font jour inspirées au moraliste par le spectacle de tant d’iniquités consacrées par le succès. Y a-t-il une moralité dans l’histoire, ou l’idée du juste et de l’honnête n’y est-elle, comme ailleurs, qu’une conception de notre esprit ? Des contrastes trop saisissans choquent nos regards dans le tableau confus des affaires humaines, et là encore le croyant en est réduit à faire un acte de foi dans la Providence et à s’en remettre à ses voies mystérieuses. L’histoire diplomatique n’est que l’histoire des conflits de la force et du droit ; et la diplomatie elle-même n’a été inventée que pour venir au secours du faible, « modérer l’arrogance du vainqueur en le rappelant aux règles du droit des gens et à la foi des traités. » On dit beaucoup que dans les conditions d’existence du monde moderne ce ne sont pas seulement les procédés de la diplomatie qui ont changé et ses traditions qui ont été bouleversées, c’est son rôle même qui, devenant de jour en jour plus inefficace, est à la veille de se terminer. M. le duc de Broglie ne le pense pas et il s’est montré maintes fois soucieux d’indiquer comment, dans l’Europe d’aujourd’hui, les traditions de l’ancienne diplomatie peuvent se concilier avec le droit nouveau. Ces préoccupations qu’il est aisé de deviner dans l’œuvre de M. le duc de Broglie lui impriment un singulier cachet de grandeur, Nous n’avons pas à y insister, mais nous devions du moins les signaler et rappeler en terminant comment s’unissent chez cet écrivain de race aux mérites les plus rares de l’esprit, les qualités qui font l’homme, le chrétien et le patriote.


RENE DOUMIC.