Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 134.djvu/466

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

hiérarchie. La déclamation constitue presque tout son art, éternel récitatif, où non seulement la carrure, mais la régularité même de la mélodie ne s’annonce presque jamais encore. L’accent y jaillit du mot et rien que du mot. Cela s’appelle : in armonia favellare, parler harmonieusement, ou bien : un canto che parla.

Il en est déjà autrement, un peu autrement, chez Monteverde. Beaucoup plus grand musicien que Caccini, Monteverde donne à la partie chorale, instrumentale surtout de son Orphée une importance et des proportions inattendues. L’orchestre de Monteverde ne comprend pas moins de trente-six instrumens, dont quatre trombones. L’acte des Enfers étonne encore aujourd’hui par la variété, quelquefois par la puissance des moyens employés. Ici la supplication d’Orphée n’est pas ainsi que chez Gluck une série de phrases mélodiques, mais une sorte d’improvisation éperdue, une mélopée très libre ; très ornée aussi et très fleurie, mais de fleurs sombres et comme sauvages. Des gammes de violons de l’effet le plus pathétique l’accompagnent ou plutôt l’entrecoupent et la hachent sans cesse. Aux apostrophes redoublées d’Orphée, c’est l’orchestre qui répond, et non le chœur. Il y a donc ici comme un premier soupçon de symphonie dramatique. Mais presque partout ailleurs la voix, c’est-à-dire la parole, n’en demeure pas moins souveraine. De cette parole, à peine soutenue par quelques accords, veut-on connaître toute la force et toute la beauté ? Qu’on lise la déchirante réponse d’Orphée à Caron lui refusant le passage. On sentira tout ce que le langage humain, tout ce que les mots renferment de musique, et tout ce que le génie primitif de cette époque en a su arracher. In principio erat verbum. C’est bien le verbe qui était au commencement du drame lyrique, et le verbe alors était Dieu.

Enfin la beauté de telles œuvres — et tel est leur dernier caractère — est individuelle. Autrement dit, elle procède de l’unité et non pas du nombre. Chez Caccini presque toujours, et le plus souvent encore chez Monteverde, la musique n’est que monodie. Le principe de la personnalité, principe essentiel de la Renaissance, triomphe ici du principe collectif, qui avait été la loi des âges précédens et s’était manifesté dans l’art des sons par le contrepoint et la polyphonie. La grande invention des créateurs de l’opéra, la base et le fond de la musique nouvelle, ce fut le chant à une seule voix. En lisant les deux Orphées qui nous occupent, on assiste véritablement à la naissance de « l’idée » musicale. On voit se dessiner la ligne de chant. Presque horizontale d’abord et s’allongeant tout droit, à l’infini, elle s’infléchira peu à peu. Elle formera des figures, où s’introduira de plus en plus la régularité, la symétrie. Les strophes s’organiseront, ou les couplets. L’oreille et l’esprit souhaiteront, goûteront toujours davantage l’ordonnance des périodes, la douceur des rappels et des retours. Enfin, comme la statue