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Avec lui, disparaît le dernier des hommes d’État qui ont joué un grand rôle en Europe au cours de ces dernières années. Nous avons déjà dit que l’Europe se renouvelle. M. Crispi était le dernier vestige d’un passé qui n’est plus. Il entre en frémissant dans la retraite à laquelle il est condamné, et ses journaux déclarent déjà une guerre implacable au gouvernement qui le remplace. C’est aussi ce qu’a fait M. de Bismarck : qu’en est-il résulté ? Que résultera-t-il de la mauvaise humeur et de l’irascibilité de M. Crispi ? Il a soixante-dix-sept ans, ce qui est un grand âge pour avoir le temps de laisser oublier de grandes fautes et de remonter un courant d’impopularité aussi impétueux que celui qui vient de l’emporter. Le personnel de la triple alliance n’est plus, sur aucun point, le même qu’autrefois. Le comte Goluchowski, le ministre des affaires étrangères de l’empereur François-Joseph, vient de se rendre à Berlin, où il désire être présenté à l’empereur Guillaume. Ce voyage était arrêté avant les transformations qui viennent de se produire en Italie, et qui par conséquent ne l’ont pas provoqué. Le comte Goluchowski, comme le duc de Sermoneta, est un homme nouveau : il trouvera à Berlin une politique à laquelle le jeune empereur Guillaume a imprimé une allure toute nouvelle. Que reste-t-il du vieux monde politique de l’Europe continentale ? M. Crispi est le dernier débris qui en avait surnagé : le voilà qui sombre, sans doute pour toujours. Les choses changent, bon gré mal gré, avec les hommes qui les ont longtemps représentées. D’autres groupemens, survenus depuis peu, ne peuvent manquer d’exercer leur influence sur ce qui reste des anciens. Qui sait si la chute de M. Crispi ne marque pas la fin de toute une période historique, qui n’a d’ailleurs que trop longtemps duré ?

Quant à M. di Rudini, il faut l’attendre à l’œuvre. Nous savons déjà que, sans abandonner la terre d’Afrique, il réduira l’occupation italienne en Erythrée au triangle compris entre Massaouah, Kéren et Asmara. Tel était du moins son programme connu. On dit maintenant qu’il a fait quelques concessions au roi ; mais lesquelles ? Quelle sera sa politique intérieure ? Réduira-t-il les dépenses militaires, comme il en avait jadis l’intention ? Parviendra-t-il à mettre les finances en équilibre ? A-t-il déjà un plan pour y parvenir ? Il doit se présenter bientôt devant les Chambres, et c’est seulement alors que nous aurons une réponse à quelques-unes de ces questions.


FRANCIS CHARMES.


Le Directeur-gérant,

F. BRUNETIERE.