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au Directoire : nous reconnûmes avec satisfaction le langage de sentimens purs qui auraient pu ramener Carnot en l’éclairant, si lus passions pouvaient jamais consentir à se laisser éclairer.

Il y a une histoire du Directoire anti-fructidorienne, et qu’on peut appeler au moins très fraternelle relativement à Carnot, puisqu’elle a été avouée par un frère de Carnot, le général du génie Carnot-Feulins. Elle aurait pu être faite par Carnot lui-même, à qui il est arrivé plus d’une fois de se livrer à la pseudonymie, puisque dans cette histoire même on voudrait, par double pseudonymie, donner à croire que même la réponse à Bailleul ne serait pas de Carnot. Entre autres suppositions avancées dans cette histoire, on trouve qu’un adjudant général « appelé Mucherez répandait publiquement, à la faveur du crédit dont il prétendait jouir auprès de Barras, qu’il appelait son ami et dont il faisait voir un diplôme signé de lui comme président d’une société particulière, que s’il n’avait pas été assez heureux pour porter les premiers coups à Carnot, il avait aidé au moins à creuser sa fosse ; que cet adjudant général mourut subitement à Troyes, où il était employé dans son grade, accusant son ami Barras de sa mort, bien digne récompense de pareils services. »

Il est possible qu’un mauvais sujet, comme il y en a tant dans les mouvemens révolutionnaires, qu’un énergumène n’étant pas plus démocrate qu’aristocrate, et voulant faire la cour au pouvoir triomphant, ait prétendu se donner l’honneur d’avoir contribué à débarrasser le Directoire de son adversaire le plus considérable par sa place et son opposition. On nous a même rapporté d’autres propos de ce genre, qui prouvent qu’il a existé de tous les temps des fanfarons de crimes, voulant tirer parti de ceux mêmes qu’ils n’avaient pas commis. Il est, par exemple, à la connaissance de plusieurs personnes existantes (notamment de M. Lemaire, doyen de la Faculté des lettres) qu’un général dès lors marquant dans la Révolution et dans la guerre, le général Loison, s’était vanté d’avoir été plus fossoyeur que Mucherez, d’avoir été véritablement l’assassin de Carnot ; il ajoutait même à sa vanterie des détails particuliers et hideux, par exemple que « lorsqu’on avait tué Carnot dans le Luxembourg, son corps avait répandu une quantité de sang énorme qui avait inondé la terre, et qu’il avait fallu couvrir et recouvrir, pour en dérober la trace. »

La première réponse à faire à ces propos contre Barras, c’est d’abord que Carnot n’avait nullement été assassiné ; qu’il survivait en bonne santé et sûreté dans les pays étrangers, où il faisait toutes preuves de sa survivance, en écrivant sa réponse à Bailleul et même l’histoire du Directoire, dont son frère Feulins, quelque bien instruit qu’il pût être, n’a été que collaborateur. Comment,