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II

Bologne devint le quartier général de Jules II dans cette campagne mémorable. Il y fit son entrée le 22 septembre, et passa en revue les troupes qui se dirigeaient sur Modène, et que commandait Francesco Maria della Rovere, alors âgé de vingt et un ans. Francesco Maria était le neveu du pape, le neveu aussi (par sa mère) de Guidobaldo, le dernier des Montefeltri, auquel il avait succédé en 1508 dans le duché d’Urbino, et il est généralement admis que Raphaël a reproduit ses traits dans la figure en manteau blanc qui se détache au second plan de l’École d’Athènes, à gauche, au-dessus du groupe de Pythagore : figure magnifique et d’une beauté idéale[1]. Ce ravissant éphèbe, au visage si gracieux et candide, savait cependant, à l’occasion, assassiner son homme avec beaucoup de prestesse ; c’est lui également qui, gonfalonier de l’Eglise en 1527, laissera faire Charles de Bourbon, et, pour se venger des Médicis ses spoliateurs, assistera les bras croisés au néfaste sac de Rome… Dans cette année 1510, toutefois, Francesco Maria ne fut que le chef nominal de l’armée du Saint-Siège : le chef véritable qui dirigeait toutes les opérations, le « Mars, dieu des batailles », c’était ce vieillard valétudinaire qu’on voyait passer dans les rues de Bologne, précédé du saint sacrement et suivi de quatorze cardinaux.

Mars, dans des circonstances si extraordinaires, fut peut-être excusable d’oublier les obligations qu’il avait envers Apollon ; il se trouva en tout cas quelqu’un pour le lui rappeler d’urgence. Il avait quitté Rome sans laisser de fonds pour Michel-Ange ni de dispositions à son sujet ; et celui-ci, toujours ombrageux et hargneux, n’eut rien de plus pressé que d’aller relancer le pape jusque dans son camp et de lui mettre le marché à la main. Les biographes de Buonarroti redoublent, à cet endroit, de récriminations contre le Rovere, contre ses lésineries et procédés impardonnables envers l’homme de génie : j’avoue cependant que je pencherais plutôt à bien admirer Jules II d’avoir, dans un pareil moment, et au milieu de tant de soucis, daigné écouter les doléances de son peintre bourru. Il satisfit à sa demande et eut pour lui des paroles encourageantes, ainsi qu’en témoigne une lettre

  1. M. de Reumont (Geschichte der Stadt Rom., III, 2, p. 848) met cependant en doute le bien fondé de cette tradition, dont on ne trouve pas trace dans Vasari. « On ne peut imaginer rien de moins ressemblant au portrait authentique de Francesco Maria par Titien, qui se trouve aux Uffizi de Florence [salle des Vénitiens, A]. La grande différence d’âge n’explique pas la profonde divergence des figures. Rien de commun entre le jeune homme blond et svelte de l’École d’Athènes, et l’homme brun et trapu aux traits bien marqués et peu sympathiques du cadre vénitien. »