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Pour Jules II, le coup fut atroce, déchirant : il en souffrit, comme souverain, comme pontife, comme ami de la victime, comme parent du meurtrier. Il ne put supporter l’aspect des lieux ensanglantés par un crime aussi épouvantable : deux heures après le funeste événement, on le vit monter en litière pour prendre le chemin de Rome ; il pleurait !… Arrivé à Rimini (28 mai) il lut aux portes de la cathédrale des placards annonçant la convocation d’un concile général à Pise pour le 1er septembre, — un concile « pour réformer l’Église en son chef et dans ses membres », — et l’appel portait la signature de neuf cardinaux. Ainsi Louis XII et Maximilien exécutaient audacieusement leur menace de Tours ; ce qu’on n’avait jamais osé contre le Borgia, on ne craignait pas de le faire contre lui, le neveu de Sixte IV !… Depuis le désastre de Bologne, la tragédie se déroulait avec une rapidité étourdissante ; et, comme toute tragédie vraie et humaine, elle avait aussi ses épisodes comiques, bouffons même : par exemple l’étrange fantaisie qu’eut vers ce temps Maximilien de vouloir remplacer le Rovere sur le trône pontifical ! Il l’annonçait expressément à Ferdinand le Catholique, à Lichtenstein, à sa fille Marguerite d’Autriche, gouvernante des Pays-Bas ; la lettre à Marguerite, écrite en français, est signée : Maximilianus, futur pape !…

Le 27 juin 1511, Jules II rentrait morne et abattu dans cette cité éternelle qu’il avait quittée dix mois auparavant avec des espérances si radieuses. L’épée de saint Paul s’était brisée dans ses mains, et bien des gens se demandaient s’il lui serait encore donné de repêcher dans le Tibre les clefs de saint Pierre.


III

Le premier acte du pontife, après son retour à Rome, fut la promulgation (18 juillet 1511) de la bulle Sacrosanctæ, par laquelle il convoquait un concile général pour le 19 avril de l’année suivante dans la basilique de Latran, en même temps qu’il frappait d’anathème et d’excommunication tous ceux qui prendraient part à la réunion schismatique de Pise. C’était, comme s’exprimait déjà à ce sujet un grave historien contemporain, « chasser un clou par un autre[1] », jeter le désarroi parmi les dissidens et leur ôter tout prétexte d’agitation. À partir de ce jour, en effet, le Concile de Pise, — le conciliabule, ainsi qu’on ne tarda pas à

  1. Ut quod ajunt, clavum clavo truderet. H. Borgii Hist. de bello Ital., VI, p. 93.