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été la politique de « l’Amérique aux Américains » ; et, par un curieux retour, cette même politique, après avoir à peu près tué la marine, pousse à présent le pays à souhaiter sa résurrection.

Les constructions navales, qui semblaient favorisées aux Etats-Unis par une protection draconienne, ont succombé sous l’excès même de cette protection. À la suite de ruines successives, les chantiers peu à peu s’étaient fermés. Pressé d’arborer sur la route d’Europe les couleurs de l’Union, le cabinet de Washington n’a pas attendu que les nouveaux bâtimens, commandés à la maison Cramp, de Philadelphie, pussent être lancés. Une « Ligne américaine » s’est improvisée, en achetant il y a trois ans les paquebots d’une ligne anglaise, à qui elle s’est substituée. Elle n’inquiète encore que ses rivaux britanniques ; bientôt elle menacera notre compagnie française si, comme on l’assure, des navires supérieurs comme vitesse à tous ceux qui existent jusqu’ici sont affectés par l’American fine au service de New-York à Anvers, avec escale à Boulogne. Une âpre lutte se poursuit donc ; chaque société cherchant à accroître à tout prix son trafic et à arracher aux autres ses cliens.

En attendant que les découvertes futures aient diminué le coût exorbitant d’une marche accélérée sans cesse, ces gains de quelques kilomètres à l’heure n’auraient pas manqué de ruiner vainqueurs et vaincus, si les champions des diverses nationalités, semblables aux héros d’Homère, à côté desquels combattaient perpétuellement des dieux invisibles, n’avaient derrière eux, dans l’ombre, leurs gouvernemens respectifs pour les assister de leurs capitaux. Une passion analogue se remarque dans l’Atlantique sud, dans le Pacifique, l’océan Indien et les mers de Chine. Si la fièvre est ici moins intense, bien que le nombre des pavillons engagés soit plus grand, — les compagnies italiennes, espagnoles, autrichiennes y figurent avec un total de 200 bâtimens, — c’est que le chiffre, des passagers est très inférieur : toutes les ligues réunies d’Extrême-Orient et d’Australie ne comptaient l’an dernier que 67 000 voyageurs ; celles de New-York en transportaient sept fois plus : 440 000. C’est aussi que, pour des traversées de longue durée, l’approvisionnement du charbon nécessaire aux machines de grande vitesse finirait par remplir absolument le navire. On se contente donc, dans ces directions, d’une trentaine de kilomètres à l’heure, tant sur la Péminsulaire et Orientale d’Angleterre que sur nos Messageries.

Mais si les compagnies françaises, que l’on peut nommer « officielles », soutiennent la comparaison avec les similaires anglaises au point de vue de la rapidité, elles leur sont inférieures de moitié