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de mandat particulier : il n’y a charge que du bien public. Dans le système des ordres, chaque ordre votait à part et en bloc ; au contraire, dans le régime représentatif, les votes ont lieu par tête, à la majorité des représentans confondus. Dans le système des ordres, chaque ordre consentait à part les impôts nouveaux à sa charge ; impôts toujours spéciaux et parfois accordés sous condition ; dans le régime représentatif, au contraire, les Chambres dressent le budget de l’État, et autorisent la levée de l’impôt, universel comme le suffrage, établi par la loi, qui est obligatoire pour tous, sans exception ni condition.

Ainsi de suite, de caractère en caractère ; mais nous pouvons nous en tenir là et répéter, en simplifiant un peu : dans la première phase de la représentation, ce qui était représenté, c’était le groupe, corporations de métier, villes ou ordres ; dans la seconde, c’est l’individu hors du groupe, hors du métier, à peine rattaché au sol, non situé, non localisé, non domicilié socialement et se mouvant en toute fantaisie de coin en carre et de bas en haut dans l’État.

Même dans la première phase, deux espèces d’État : l’État communal et l’État national — ou plutôt deux variétés de la même espèce : le système des ordres. La commune est un petit État fondé sur les lignages et les métiers — comme le grand État, l’État national, sur les ordres ; dans ce petit État, le lignage et le métier sont de petits ordres. C’est le régime représentatif, ou c’est un régime représentatif, qui repose sur les institutions corporatives : fraternités, ghildes, hanses, arts, métiers. Il en est ainsi dans tout l’occident de l’Europe : en Allemagne, en Flandre, en Angleterre, en France, en Suisse, en Italie. Seulement de ce qu’il y a représentation, il ne faut pas se hâter de déduire qu’il y a nécessairement élection. Loin de là : l’élection semble n’avoir pas été la forme ordinaire, mais bien une forme assez rarement usitée, de constituer la représentation dans les villes. Si la représentation ne s’offre plus guère à nous que liée à l’élection, tirée d’elle et créée par elle, c’est un phénomène récent : ce n’en est ni une nécessité, ni une condition, ni même une tradition. En droit, il peut y avoir, et, en fait, il y a eu, pendant très longtemps, représentation, sans qu’il y eût élection ; et l’on ne soutiendrait pas que ce fût le régime représentatif en sa définition toute pleine, mais c’est sûrement un mode ou un degré de ce régime, qu’on lui en donne ou refuse le nom. La force corporative en est la grande et presque l’unique force ; le métier y est presque tout : certaines familles, les lignages, y sont beaucoup ou quelque chose, suivant les lieux ; nulle part, l’individu isolé n’y est rien.