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son « arche » avait 150 mètres de long, 25 de large et 15 de haut. La Touraine a 160 mètres de long et 20 de haut ; mais elle n’a que 18 mètres de large. Le bâtiment biblique n’avait que trois étages, l’ « arche » moderne en a quatre, sans compter la passerelle ; Noé pouvait s’en passer puisque, n’allant nulle part, il ne naviguait pas. C’est le besoin de marcher vite qui a fait allonger et amincir nos navires modernes, dont la ressemblance avec ce très ancien devancier s’arrête ici.

L’essai ne se renouvela pas, comme on sait, et il semble qu’un bateau de 150 mètres de long dût paraître une merveille, parmi beaucoup d’autres, à la foi robuste des générations du moyen âge, lorsque Guillaume de Normandie allait conquérir l’Angleterre ou lorsque saint Louis partait pour la première croisade avec des nefs de 20 à 25 mètres de longueur. Les galions ou les caraques du XVIe siècle mesuraient 40 mètres et jamais, avant Louis XIV, on n’avait vu un vaisseau de guerre atteindre jusqu’à 60. Ces derniers, il est vrai, étaient fort larges ; « vaisseaux ronds », disait-on, à gros ventre, se défendant bien des lames, fort empêchés à courir. Du souci croissant de la vitesse est venu le modèle actuel, aux flancs plats, aux hanches effacées, plus long qu’une église gothique, qui, renversée, se balancerait sur les flots, — la Gascogne dépasse d’un huitième la cathédrale de Rouen qui paraît immense.

Une légèreté plus grande des coques a été obtenue en remplaçant le bois par le fer, ensuite le fer par l’acier. Ce fut en 1840 que le métal commença à dominer dans le matériel maritime. Cher au début, la baisse des fers, la hausse des bois propres aux constructions navales, ont depuis rapproché les distances. Longtemps la marine militaire garda ses préférences pour les carènes en bois doublé de cuivre. Aujourd’hui, non seulement le fer a vaincu le bois, mais il a été battu à son tour par l’acier doux. Il y a quinze ans que le nouveau métal l’emporte sur l’ancien, limité désormais à quelques parties peu importantes des navires ; sur 100 bateaux il s’en construit 95 en acier. Avec le fer la pesanteur de la coque avait été réduite d’un tiers ; grâce à l’acier, on réalise une nouvelle économie d’un dixième sur le poids total. D’où faculté d’augmenter la puissance motrice ou le port en marchandises. Plus résistant, l’acier a permis d’atteindre des longueurs qui n’auraient pas été possibles avec le fer ; plus malléable, il atténue les avaries des abordages et des échouemens.

Cependant ces navires, de plus en plus solides, durent de moins en moins. Le bois à la mer vivait quarante ans ; le fer ne pouvait compter que sur une trentaine d’années d’existence ; les jours de l’acier