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suppléant par la quantité à la qualité qui leur manque. On va même jusqu’à construire des machines « à quadruple expansion », possédant quatre cylindres et utilisant une quatrième fois la vapeur. Celle-ci pourtant se lasse ; elle retourne en partie à l’état liquide. L’eau, qui s’accumule alors dans le cylindre, s’oppose au jeu régulier du piston et arrive parfois à le briser. Telle a été la cause de l’accident qui se produisit l’an dernier sur la Gascogne et paralysa la marche de ce paquebot, que l’on crut un instant perdu.

Les trois pistons concourent ensemble à faire tourner l’arbre d’acier au bout duquel est emmanchée l’hélice. On demeure stupéfait, lorsqu’on voit un navire à sec, qu’un si monstrueux poisson ait de si intimes nageoires, que ces trois ailettes de bronze, dont chacune n’a pas plus de 2 mètres de long suffisent à lui donner une vitesse de neuf lieues à l’heure. L’hélice, par sa supériorité incontestable, a détrôné les roues à aubes du début. Ces dernières avaient l’avantage d’exiger un moindre tirant d’eau, de diminuer un peu le roulis et d’occasionner moins de trépidations ; mais aussi s’en fonçant diversement dans l’eau tour à tour, suivant le balancement du navire, elles fonctionnent avec irrégularité ; elles doivent déployer une force double pour un même effet utile. Depuis Archimède, qui connaissait l’action de la vis sur une masse liquide et s’en servait pour élever l’eau, depuis W. Littleton qui, avec son hélice de 1793, première application de l’idée antique, n’arrivait pas à faire plus de 1 500 mètres à l’heure, jusqu’aux deux hélices jumelles des nouveaux steamers, favorisant les évolutions et fractionnant la force motrice, de manière à éviter l’immobilisation complète, c’est par une suite de tâtonnemens et de recherches, où le hasard a joué son rôle, que l’on est parvenu à asseoir la théorie minutieuse de ce moteur si surprenant et si simple.

Pour donner aux hélices une rotation de 80 à 90 tours par minute, on dépense, dans le même laps de temps, jusqu’à 350 kilos de charbon à bord du Lucania, soit plus de 500 000 kilos par vingt-quatre heures. La fourniture annuelle de charbon nécessaire à la Compagnie transatlantique est de 425 000 tonnes, et pourtant son plus grand bateau n’use que 250 tonnes par jour. Que serait-ce si, par de constantes améliorations, on n’était parvenu à réduire au quart de ce qu’elle était autrefois la nourriture et la pesanteur des machines. Avec les anciens moteurs à balanciers, un paquebot n’aurait jamais pu loger sa provision de charbon, même en renonçant à transporter rien autre chose ; ce qui du reste eût rendu problématique l’utilité de son voyage. La