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représentant des vues champêtres et des châteaux historiques posés sur des prairies, ce passager certes a le sentiment de n’avoir pas quitté la terre ferme, ou du moins d’en avoir emporté beaucoup à ses pieds. Surtout s’il peut s’installer dans une chambre de moyenne grandeur, mais élégante et complétée par un cabinet de toilette, un water-closet et une salle de bain.

Celui-là est le privilégié des cabines de luxe ; il paie jusqu’à 3 000 francs s’il est seul. Le billet ordinaire de première classe, qui varie de 500 à 1 000 francs suivant la saison et le paquebot, donne droit à un réduit plus étroit, mais qu’à force d’invention et de calculs on est parvenu à agrandir, de façon que le voyageur debout, sa toilette terminée, retrouve le plus de superficie possible. Proportionnellement à la place qu’elle occupe, à ses cabines, à ses salons, au luxe de sa table et à tous les frais accessoires que ce luxe entraîne, la première classe paie moins cher que la troisième, taxée à 100 francs par personne, — c’est du reste la même chose sur les chemins de fer. Les « réquisitionnaires » de première classe, c’est-à-dire les personnages officiels que la compagnie est tenue de transporter gratuitement, donnent lieu à une indemnité de 7 francs par jour de traversée ; mais cette redevance conventionnelle est loin de correspondre au coût de l’ordinaire du bord.

Pour que les 175 convives, qui s’assoient en même temps dans la salle à manger principale, trouvent à leur dîner deux potages, un relevé de poisson, une entrée, deux légumes, deux rôtis, un entremets glacé, des pâtisseries et un dessert copieux, avec déjeuner à l’avenant, il faut embarquer de quoi fournir 15 000 kilos de viande de boucherie, 1500 têtes de volailles, 46 000 œufs, 7 000 huîtres, 180 000 kilos de pain, sans compter 9 000 brioches, 31 000 litres de vin, etc., etc. Un paquebot des Messageries emporte pour les longs parcours 12 000 serviettes et 4 000 draps de lit. Sur un transatlantique, où les passagers sont plus nombreux, il est sali 32 000 pièces de linge par voyage, et l’on use 400 balais pour le nettoyage du navire. Il faut songer aux malades : un hôpital est organisé pour eux et aussi une pharmacie complète dont la commission sanitaire du port, avant chaque départ, vient faire l’inspection. Jadis, à partir d’une certaine heure, les passagers étaient plongés dans l’obscurité ; un millier de lampes électriques éclairent maintenant le bateau dans toutes ses parties, et chacun peut, au milieu de la nuit, en tournant le commutateur, illuminer à son gré sa cabine.

Grâce à tout le confortable obtenu, rien, ou presque rien, ne différencie ce bâtiment d’un hôtel de premier ordre ; rien… si