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mais ils étaient toujours prêts à repartir « par obéissance » quand ils en recevraient l’ordre. Et puis, pour la plupart, ils Unissaient bien. Après une longue vie passée dans les affaires, dans les ambitions, parfois dans les intrigues, ils savaient se retirer et se recueillir à temps, lorsqu’ils sentaient les approches de la vieillesse. Si un Colbert, accablé par le mal, regrettait tout haut d’avoir sacrifié au Roi le soin de son salut ; si un Louvois, brûlé par la fièvre, mourait en plein travail, d’autres se préoccupaient au contraire, suivant la belle expression d’alors, « de mettre un intervalle entre la vie et la mort », comme ce Claude Le Pelletier, ministre d’État, contrôleur général, qui, à l’âge de soixante-six ans, en pleine santé de corps et d’esprit, prenait un jour congé du Roi, à la fin du Conseil, et se faisait directement conduire, par son carrosse, en sa maison de Villeneuve-le-Roi, où il tenait jusqu’à la fin une exacte retraite ; comme ce Pontchartrain, qui passait directement de la chancellerie d’État à l’Oratoire ; comme Tessé lui-même, qui, à l’âge de soixante-huit ans, achetait une petite maison au monastère des Camaldules, près de Grosbois, et partageait son temps entre cette modeste retraite et un appartement dans l’enclos de l’hôpital des Incurables. Il en sortait bien, sur l’ordre de Louis XV, pour accomplir une dernière mission en Espagne, mais il avait hâte de solliciter la permission d’y revenir, et il y mourait, peu de temps après, en chrétien, n’en déplaise à Saint-Simon, qui ne craint pas de dire, sans aucune preuve : « Sa fin a été subite de rage et de désespoir : son cœur fut trouvé fendu ! » Que ces gens-là servissent le Roi et l’État, ou, comme nous dirions aujourd’hui, en termes un peu plus pompeux, la France et la patrie, peu importe ! ils servaient bien, et la France, la patrie, ont perdu en eux des instrumens utiles dont il serait injuste de dire que l’espèce a disparu, car on en pourrait découvrir encore quelques types, parmi les fonctionnaires de rang modeste qui ont échappé aux caprices de la politique mais dont les échantillons se font de plus en plus rares. Ich dien, je sers, disait une vieille devise, dévolue aujourd’hui, à l’héritier d’une des plus solides monarchies de l’Europe. Prince, noble ou bourgeois, n’est-ce pas une devise dont chacun a le droit de s’enorgueillir, lorsqu’il a consumé au service du pays une vie tout entière de labeur et de dévouement ?

Ce fut au mois de novembre 1691 que Tessé vint s’établir à Pignerol, en qualité de « commandant pour le service du Roy dans les places et frontières du Piémont. » Soit qu’il eût reçu sur ce point quelques instructions particulières, soit qu’il obéît à son naturel empressé, une de ses préoccupations principales