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chambre voisine où elles étoient, il leur parla quelque temps et luy en donna assez pour les voir[1]. » Les choses paraissaient à peu près conclues, et le duc de Savoie frappant dans la main de Tessé « jurait sa foy et parolle d’homme d’honneur et de prince et que s’il y manquoit il vouloit passer pour un fripon et un chien[2]. »

Restait à obtenir l’agrément du Roi. Il demeurait convenu qu’aussitôt que Tessé, qui devait se rendre à Versailles, lui aurait fait savoir les dispositions favorables de Sa Majesté, Victor-Amédée dépêcherait, de son côté, à Vienne l’abbé Grimani. « Cet abbé, d’une des premières maisons de Venise, avait eu la principale confiance de ce prince dans tout ce qui s’estoit traité entre luy et l’Empereur, et par-là il le croioit plus propre à y faire reconnoître la nécessité où il se trouvoit de traiter avec la France[3]. »

C’est ainsi que Victor-Amédée colorait aux yeux de Tessé la mission qu’il allait confier à l’abbé Grimani. En réalité, cette mission, dont le fait même a bien été connu des contemporains mais dont le véritable caractère leur a en partie échappé, avait, comme nous Talions voir, un tout autre but. Lorsque, avant de conclure un traité avec la France, Victor-Amédée dépêchait un envoyé à Vienne, il se souvenait de cette parole d’un de ses ancêtres « que la casaque des ducs de Savoie a deux envers. » C’était une vieille tradition de sa maison, placée qu’elle était entre l’Allemagne et la France, de faire affaire avec le plus offrant et dernier enchérisseur. Les petits États aux prises avec de plus grands qu’eux en sont souvent réduits à cette politique, et la maison de Savoie n’a pas fait, à tout prendre, autre chose que la pratiquer avec plus de persistance, et généralement avec plus de bonheur qu’une autre.


IV

Le nouveau négociateur, qui va entrer en scène, était pour Victor-Amédée une relation de jeunesse, moitié compagnon, moitié mentor. C’était à Venise, en 1086, qu’ils avaient fait connaissance, durant certain carnaval fort gai que Victor-Amédée y avait passé, soi-disant à se divertir, en réalité à nouer son premier commerce avec l’Empereur. Voici comment Denina s’exprime sur son compte dans sa Vie de Victor-Amédée[4] : « Ce gentilhomme, né avec beaucoup de talens, instruit par ses études

  1. Aff. étrang. Turin, vol. 94. Note du 10 décembre 1693.
  2. Ibid.
  3. Ibid. Note du 18 décembre 1693.
  4. Cette Vie de Victor-Amédée, par l’abbé Denina (l’auteur des Révolutions d’Italie), se trouve en manuscrit à la bibliothèque du Roi à Turin.