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publique, Catinat offrirait au duc de Savoie l’évacuation de la portion de ses États envahie, la restitution de Pignerol démantelé, et le mariage du duc de Bourgogne avec la princesse Adélaïde, moyennant la conclusion d’une trêve, et la promesse, une fois la trêve expirée, « d’agir conjointement avec l’armée française contre les autres puissances belligérantes en Italie[1]. »

« Dès que cette trêve, dont l’éclat ne peut pas tarder, sera rendue publique, écrivait Tessé à Louis XIV[2], je ne comprends pas comment M. le prince d’Orange, l’Empereur et tout de suitte tous les princes compris sous le nom de la Ligue ne devineront pas, sans qu’on leur dise, qu’il faut qu’il y ait un traitté secret entre V. M. et le duc de Savoye. Car enfin, Sire, c’est une chose risible et qui, pour parler en terme vulgaire, montre la corde, qu’un général de la pénétration de M. de Catinat, à la teste de l’armée de V. M., propose par une lettre portée par un trompette le mariage de M. le duc de Bourgogne. Il ne faut pas, ce me semble, estre grand prophète pour deviner qu’une telle mission est concertée, et M. le prince d’Orange en sait trop pour ne pas voir que tout ce que nous faisons n’est qu’une comédie dont la principale scène est conclue. »

La comédie se déroulait en effet acte par acte. Le 12 juillet, la trêve était signée, et sur la demande expresse du duc de Savoie, Tessé acceptait d’aller provisoirement comme otage à Turin, bien qu’il eût peu de goût pour ce personnage. « Il me souvient, écrivait-il à Barbezieux[3], d’avoir ouï dire que l’on pendit par provision un ostage à Bordeaux, sauf à lui de rappeler de la condamnation très injuste qu’il essuyoit. Ne me laisses pas trop longtemps dans ce personnage ambigu d’ostage, qu’en vérité je n’accepte que parce que j’entrevois que personne n’y pourroit peut estre, dans les conjonctions présentes, servir le Boy comme j’espère de le faire. Je regarde le personnage que je fais comme un sacrifice de ma volonté qui me couste plus que je ne dis. »

Tessé, suivant son désir, ne devait pas jouer longtemps ce personnage ambigu. Troublés par cette brusque défection (bien qu’elle ne fût point tout à fait inattendue), les alliés s’efforçaient bien de retenir le duc de Savoie dans leur cause. L’Empereur en particulier dépêchait auprès de lui l’abbé Grimani qui avait ordre d’offrir le Montferrat avec l’alliance du roi des Romains. Le hasard faisait même que Tessé se rencontrait précisément avec Grimani, au moment où celui-ci sortait du cabinet du duc de Savoie. Mais Victor-Amédée tenait bon et disait à Tessé : « Je vous prie d’informer le roy que j’ay répondu à l’abbé que, quand on

  1. Mémoires de Tessé, t. I, ch. III, p. 72.
  2. Aff. étrang. Corresp. Turin, vol. 97. Tessé au Roi, 5 juillet 1696.
  3. Dépôt de la Guerre. Italie, 1373. Tessé à Barbezieux, 16 juillet 1696.