Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 134.djvu/813

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

royaume de la Bourse et le monde des affaires de toute la hauteur de leur réputation et de toute la puissance de leurs capitaux, pareilles à une lignée de rois légitimes dont les sujets n’osent plus contester les titres.

La raison en est simple ; si bien administrées que soient des sociétés, une entreprise menée par un homme intelligent, actif, seul maître de ses actes et seul juge de sa conduite, gardera toujours des avantages sur les compagnies à plusieurs têtes où la responsabilité s’affaiblit en se partageant, où les rivalités de personnes et les conflits d’opinions rendent toute initiative plus malaisée et l’unité de direction plus difficile. Cela est si manifeste que les établissemens de crédit dont la fortune a été la plus rapide et la plus brillante sont ceux dont le président ou le directeur a su conquérir une telle autorité qu’il en a été comme le maître absolu. Le lecteur en trouverait une preuve éclatante en France même. C’est que, en affaires plus encore qu’en politique, le régime monarchique, quand le monarque est doué d’intelligence et d’énergie, peut aisément se montrer supérieur à la république, et le gouvernement d’un seul l’emporter sur une démocratie ou sur une oligarchie. Là encore, l’éducation, la tradition, l’hérédité, peuvent, durant quelques générations au moins, transmettre, de père en fils, le sens des affaires, avec l’esprit de gouvernement. Cela est particulièrement vrai de la finance qui, par plus d’un côté, ressemble à la guerre. Comme la guerre, elle veut une décision prompte et au besoin des initiatives hardies ; elle exige souvent le secret, et elle demande toujours l’unité du commandement. Un chef, seul responsable de ses capitaux et seul maître de ses ordres, n’ayant ni avis à prendre d’un conseil d’administration, ni comptes à rendre à des assemblées d’actionnaires, sera toujours, pour les campagnes d’affaires et pour les batailles de la Bourse, un général en meilleur posture qu’un président ou un directeur de société anonyme, lié par des règlemens et entravé par des considérations de toutes sortes. Il n’y a donc pas à s’étonner si, dans la finance, à l’inverse de l’industrie, la prépondérance est demeurée aux grandes maisons individuelles ou familiales, qui concentrent l’autorité en une seule main.

Ces grandes maisons, reines incontestées des marchés financiers, constituent, à proprement parler, ce qu’on appelle emphatiquement la haute banque, nom vague et fastueux qui éblouit les imaginations, les remplissant à la fois d’un involontaire respect et de confuses terreurs que de nombreux pamphlétaires s’évertuent à transformer en haines. Affaires de Bourse, industrie, finance,