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trait sémitique, est-ce bien la peine de montrer ce qu’ont d’enfantin de pareilles théories ? Pour en sentir l’inanité, il n’y a qu’à jeter un coup d’œil sur les pays anglo-saxons, sur les Etats-Unis notamment, où le sceptre de la Bourse n’est pas encore en des mains juives. Il n’y a là, en réalité, qu’un phénomène d’ordre économique, inhérent aux affaires de banque et n’ayant rien à démêler avec la race ou la religion ; car peu importe en soi l’origine ou le culte des potentats de la Bourse. C’est là du reste un point sur lequel nous comptons revenir pour l’édification des âmes crédules qui auraient la simplicité d’expliquer les mystères de la finance par les révélations de l’antisémitisme.

N’importe, juive ou chrétienne, la haute banque est, pour le peuple, l’incarnation suprême de cette féodalité financière que dénoncent, deux fois par jour, à ses haines, les libelles quotidiens d’une presse passionnée. En cette haute banque se personnifient, pour les masses, la toute-puissance et l’usurpation de l’argent. La crédule superstition des foules et l’envieuse admiration de ses ennemis la nimbent, involontairement, d’une sorte d’auréole aux reflets sinistres. Elle semble à beaucoup un pouvoir mystérieux, en possession d’arcanes redoutables, qui, du fond de ses palais, dicte des ordres occultes aux rois comme aux parlemens, et gouverne le monde de derrière ses guichets. Pour plusieurs, c’est une sorte d’obsession. Comme les grandes compagnies, et plus encore que les grandes compagnies, ses vassales, la haute banque est un des fantômes qui hantent l’imagination de nos contemporains ; c’est un des spectres les plus faciles à évoquer devant les hommes assemblés, et un de ceux dont l’apparition soulève, le plus aisément, les colères ingénues et les haineuses terreurs des foules ignorantes. Rien de surprenant si quelque pauvre diable, exalté par ces troublantes visions, dépose une bombe sous la porte de ces rois de la finance, ou leur expédie quelque missive explosive. A nombre de bonnes âmes, cela semble presque œuvre pie.

Les financiers, les traitans, ont toujours été peu populaires, et cela, pour plus d’une raison. Peut-être excitent-ils, de nos jours, encore plus d’aversion que sous l’ancien régime. Ils ont contre eux, outre les défiances malveillantes des masses, les jalouses rancunes des classes moyennes ou des aristocraties anciennes qui se prétendent exploitées ou dépouillées par eux. Des nuées d’écrivains de toute école et de toute couleur, pareils à des moustiques importuns, tourbillonnent bruyamment autour d’eux, les poursuivant sans trêve de leurs piqûres venimeuses. Les folliculaires qui n’ont pu la faire chanter à leur gré se sont donné comme mission d’ameuter contre cette haute banque l’esprit de suspicion et