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remarqué[1], la richesse mobilière diffère essentiellement de la richesse territoriale qui, étant incorporée au sol, est liée au pays. Le capital mobilier, représenté par du papier qui peut provenir de toute nation, n’est point dans la même dépendance du sol. Il n’est pas forcément attaché à un peuple et enchaîné à un Etat. Un homme, une famille peut habiter une ville, une province, un Etat, et avoir ses principaux intérêts au dehors. Il n’est même pas, pour cela, besoin d’être banquier. Pour le capitaliste, les divers pays forment comme autant de bassins qui communiquent entre eux. Le capital ressemble à l’eau qui cherche son niveau, mais à une eau intelligente qui saurait tourner les obstacles, choisir sa voie, s’arrêter sur la pente. Il a la fluidité des liquides, coulant selon la déclivité du terrain, allant où il est attiré, ici par le taux de l’intérêt, là par la sécurité, se répandant partout où les chances de profit lui paraissent supérieures aux chances de perte.

Pour la finance, le monde en dépit des cloisons nationales et des murailles douanières, le monde, civilisé surtout ne forme guère qu’un marché. On a souvent comparé le capital au sang, au liquide nourricier qui circule d’une extrémité à l’autre du corps vivant. L’image est exacte ; les « sociologues » qui se croient obligés d’assimiler les sociétés à un corps vivant, comparent justement la banque, la finance, au cœur et aux vaisseaux sanguins, et le mouvement du capital à la circulation du sang. La différence, de nos jours au moins, est que la circulation des capitaux ne se limite pas à un peuple, qu’elle ne s’arrête pas aux frontières nationales ; et, en dépit de toutes les barrières monétaires, et de tous les tarifs fiscaux, cela, est, déjà presque aussi vrai du commerce que de la finance. Si chaque nation conserve, à cet égard même, sa vie propre, le monde moderne est pareil à un vaste polypier ou à un immense madrépore, à un agrégat vivant dont la vie est collective, de façon que tous les individus sont, malgré eux, plus ou moins solidaires. Commerce ou finance, le monde tend, de plus en plus, à former un tout où le capital circule d’une extrémité à l’autre de la planète, portant partout la vie et le mouvement. Les rois et les républiques ont beau marquer les monnaies de leur écusson et les frapper de leur effigie, comme pour les assujettir à leur autorité, l’argent échappe au pouvoir des princes et des parlemens. L’or ne se laisse asservir à aucune autorité ; le capital rompt toutes les entraves, ou délie tous les liens, sûr de trouver bon accueil dans les deux hémisphères.

  1. Voyez, dans la Revue du 15 juin 1894, l’étude intitulée ; le Capital et la Féodalité industrielle et financière.