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établissemens de crédit l’ont, trop de fois, durant ces dernières années, mal remplie.

On fait beaucoup de reproches à nos financiers ; tous ceux que leur adresse une presse aussi partiale qu’ignorante ne sont pas mérités ; mais ils en méritent parfois qu’on ne songe guère à leur faire. Ils ne pèchent pas seulement par imprudence, par indifférence pour les intérêts du public, par incurie ; mais aussi par timidité, par apathie. Ils sont, en toutes choses, trop portés à suivre les vieux erremens ; ils se sont, trop longtemps, cantonnés dans les emprunts d’État, de villes, de provinces, — sans même avoir su se renseigner sur les ressources ou sur l’honnêteté des pays où ils entraînaient leur clientèle. Ainsi en Grèce, ainsi en Portugal, ainsi dans la République Argentine. La faute de nos financiers n’a pas été d’attirer les capitaux français dans les pays neufs ; leur faute a été de le faire sans assez de soin et de précautions, sans savoir s’éclairer eux-mêmes ou sans vouloir éclairer leur clientèle. Ils ont encouru, par-là, des responsabilités morales qui, sans les lacunes de nos codes et sans les fissures de nos lois, eussent dû, plus d’une fois, se transformer en responsabilités matérielles. C’est là, du reste, un sujet sur lequel nous aurons à revenir prochainement[1]. En ouvrant leurs guichets à des affaires exotiques, nos banquiers et nos établissemens de crédit semblent n’avoir, trop souvent, d’autre souci que de faire des affaires, d’émettre des emprunts, de placer des titres, de toucher une commission. Peut-être, aussi, ont-ils été trop pressés de souscrire ou de pousser à des conversions de rente parfois hâtives et presque toujours onéreuses pour les intérêts nationaux, dont ils étaient les défenseurs naturels. En tout cas, si les placemens à l’étranger ont donné lieu à des déboires et à des pertes, la faute n’en doit pas incomber à l’internationalisme financier, mais à la coupable légèreté des émetteurs d’emprunts et à la trop fréquente déloyauté des emprunteurs exotiques.

Ainsi donc, il est vrai, nos banquiers et nos établissemens de crédit n’ont pas toujours rempli leur devoir envers le public. Ils n’ont pas su être, pour lui, des guides sûrs. Ils l’ont engagé dans des voies souvent périlleuses pour l’y abandonner bientôt ; mais, encore une fois, ce n’est pas là le seul reproche à faire à nos financiers, ni la seule façon dont ils aient été infidèles à leur vocation. Nous aurions, contre eux, un autre grief. La banque et la finance françaises pèchent, le plus souvent, par routine, par manque d’initiative, par défaut d’esprit d’entreprise. Elles ne savent guère

  1. Lorsque nous étudierons la Bourse et la Spéculation.