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Novembre 1859.

Madame,

Je vous accorde sans peine que pour croire il n’est pas besoin de preuves. Il suffit d’une disposition particulière de l’esprit. Cette disposition existe plus ou moins fortement chez tous les hommes. Chez un petit nombre, elle est constante ; chez la plupart, elle est transitoire. Par exemple la passion fait croire quelque chose sans démonstration. Puis, quand la passion cesse, la raison critique la croyance et elle s’efface. Il est très probable que ceux qui croient toujours sont plus heureux que les autres. Mais, encore une fois, comment croire sans passion ? Pratiquement parlant il me semble que le doute a moins d’inconvéniens que la croyance. Il n’y a rien de plus terrible qu’un homme convaincu quand il est logicien et qu’il part d’une donnée fausse. Un des hommes les plus convaincus qui aient existé me paraît être Philippe II, et je le tiens pour le plus abominable tyran et l’homme qui a fait le plus de mal à son pays. Il raisonnait juste, et jamais la conséquence d’une de ses convictions ne l’arrêtait, quelque horrible qu’elle fût. Lisez, je vous prie, dans Prescott ou dans Gachard, l’histoire de Montigny : c’est une des plus curieuses qui se puissent trouver.

Vous avez probablement raison de dire que les massacreurs de la Saint-Barthélémy n’étaient pas de bons catholiques, et vous ne savez pas que, dans ma jeunesse, j’ai été honni pour avoir imprimé que ce massacre était une émeute populaire comme les Vêpres siciliennes. Mais cela n’a pas empêché que la cour de Rome, qui n’y avait pas pris part, ne louât le fait et ne fit frapper à cette occasion une belle médaille. Cela ne prouve pas que le pape fût cruel. Je ne le suis pas, et j’étais bien aise que nos canons rayés tuassent beaucoup d’Autrichiens. En 1572, on ne distinguait pas encore très nettement la différence qu’il y a entre tuer en bataille ou en guet-apens. Les catholiques fervens se félicitèrent de la Saint-Barthélémy parce qu’ils croyaient que c’en était fait de l’hérésie. S’il n’y avait pas eu d’attirés protestans que ceux qui périrent alors, et s’il était certain que de leur sang il n’en naquît pas d’autres, un logicien catholique serait obligé d’approuver la mesure de rigueur prise le 24 août. Je ne veux pas traiter un point qui m’entraînerait trop loin, et je suis déjà fâché d’en avoir tant dit. Je crains de vous faire de la peine, ce qui m’en ferait à moi.

Avila est une petite ville de la Vieille-Castille, pas très loin de Guisando où il y a des taureaux de pierre élevés par les