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succède. La chaleur est accablante, il y a neuf heures qu’on se bat, les hommes n’ont rien mangé depuis la veille ; ils chargent et tirent, impassibles, tête nue, la capote ouverte, noirs de poudre, embarrassés dans les cadavres qui encombrent la chambre, silencieux comme des êtres qui vont mourir. L’ennemi met le feu aux hangars, la flamme et la fumée se font intolérables, mais les survivans se cramponnent quand même à leurs créneaux et font feu désespérément. A cinq heures, les Mexicains se concertent, leur chef les exhorte à en finir et ses paroles parviennent jusqu’aux légionnaires, aussitôt traduites par l’un d’entre eux. Ils renouvellent le serment de ne pas se rendre. Alors l’ennemi se rue de toutes ses forces sur la maison, débordant par toutes les ouvertures ; les portes cèdent, les rares défenseurs sont pris ou massacrés, la poussée humaine étouffe ces héros. Le sous-lieutenant Maudet lutte encore un quart d’heure, avec cinq légionnaires, au milieu des débris fumans d’un hangar écroulé, puis, la dernière cartouche brûlée, tente de se faire jour. Dès qu’il bondit hors de l’abri, tous les fusils le couchent en joue ; le légionnaire Gotleau se jette devant son officier, le couvre et s’abat foudroyé. Maudet reçoit deux balles et tombe, c’est le dernier. Il est six heures du soir et le soleil descend sur cette scène de géans.

Ce fut une belle campagne que celle du Mexique pour la Légion ; elle y laissa beaucoup des siens, elle y montra son abnégation inlassable au fond des Terres-Chaudes, où on l’oublia trop longtemps, et quand, après avoir été réduite de moitié par le feu et le vomito, on la renforça de son troisième bataillon, elle reparut dans les opérations actives, notamment au siège d’Oajacca, aussi brillante, aussi invincible. Aux pages de son journal de marches, étincelantes de noms connus, sont accrochés de beaux lambeaux de carrière de nos généraux les plus aimés. Ils étaient là, capitaines ou commandans, comme Saussier qui, durant dix-sept ans à la Légion, éprouva des facultés de commandement auxquelles l’avenir réservait une si haute consécration.

De nos luttes douloureuses, la Légion eut aussi sa part. Venue en France dès le commencement d’octobre 1870, elle subit la triste fortune de l’armée de la Loire et ensuite de l’armée de l’Est. En avril 1871, elle campait à Saint-Cloud devant l’insurrection parisienne, elle menait la tête de l’attaque de Neuilly et enlevait, à elle seule, les Buttes-Chaumont. La Commune vaincue, elle quittait la France pour revenir à l’ordinaire théâtre de ses exploits, où la grande insurrection kabyle et le soulèvement du sud Oranais lui gardaient encore des lauriers.