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garde des sceaux, et M. Goblet se sont empressés de déposer des motions inspirées à ce point du même esprit qu’elles n’ont pas tardé à se fondre en une seule. Il s’agissait d’affirmer la « prépondérance » de la Chambre sur le Sénat, et de déclarer qu’on était résolu à persévérer dans la voie des réformes démocratiques. Des mots ! des mots ! aurait dit Hamlet. Si on entend, lorsqu’on parle de prépondérance de la Chambre, que celle-ci doit jouer le rôle le plus actif dans la vie politique, parce qu’elle est issue du suffrage universel, qu’elle est renouvelée intégralement à des intervalles assez rapprochés, qu’elle est d’ailleurs la plus jeune et la plus nombreuse, on constate un fait contre lequel personne n’a jamais protesté. Le Sénat n’a pas émis la prétention d’exercer la moindre prépondérance sur la Chambre des députés : il entend seulement se réserver le droit que la constitution lui donne de congédier lui aussi un ministère ou, si l’on veut, de le mettre dans l’impossibilité de gouverner, lorsqu’il juge décidément que ce ministère gouverne trop mal et qu’il compromet les intérêts vitaux du pays. Le droit du Sénat n’empiète en rien sur celui de la Chambre : il existe et s’exerce parallèlement. Le Sénat a la sagesse de n’en user que dans des cas extrêmement rares : on ne cite que deux ou trois ministères qui se soient retirés devant ses votes depuis que fonctionne la constitution actuelle, tandis que ceux que la Chambre a démolis se chiffrent par vingtaines. Les choses doivent se passer ainsi : il importe que le Sénat puisse condamner effectivement un ministère, et qu’il ne le fasse d’ailleurs presque jamais. S’il ne pouvait pas le faire, il ne serait rien ; s’il le faisait trop fréquemment, il ajouterait le plus dangereux coefficient à l’instabilité gouvernementale qui reste le principal vice de nos institutions. Mais à quoi bon discuter ces questions de casuistique constitutionnelle ? Que la Chambre affirme tant qu’elle voudra sa prépondérance ! elle n’empêchera pas l’opposition du Sénat d’être efficace. On vient de voir qu’elle l’était. Et quant aux réformes démocratiques, encore bien que personne ne sache exactement ce que cela veut dire et peut-être même parce qu’on ne le sait pas, comment la Chambre n’aurait-elle pas dit qu’elle était décidée à en faire ? Elle n’en a terminé aucune jusqu’ici : raison de plus pour en promettre dans l’avenir. Sa carrière législative, qui a déjà duré deux ans et demi, est la plus stérile qui se soit déroulée depuis 1871. Oh ! oui, la Chambre aura raison d’opérer des réformes ; mais, si elle veut y réussir, il faudra d’abord qu’elle se réforme elle-même et renouvelle toutes ses méthodes de travail. Elle n’en prend malheureusement pas le chemin. Elle se montre aussi empressée à voter une motion sans portée malgré l’apparente énergie de sa rédaction, qu’impuissante à voter une loi d’affaires. Si encore de pareilles motions pouvaient être utiles à quelque chose, si elles étaient de nature à éclairer le Président de la République, si elles indiquaient une direction susceptible de conduire à un