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idée, un programme, comment pourrait-il plaire à tout le monde ? Cela dure jusqu’au moment où on estime que les hommes qui sont au ministère y sont depuis assez longtemps et que c’est le tour des autres : n’est-il pas juste, dans ce système, que chacun ait le sien ? Quand un cabinet tombe, par un dernier ménagement pour lui, on en garde une partie, et on la complète avec des élémens nouveaux. C’est un syndicat d’intérêts ; ce n’est pas un gouvernement. Est-ce là que nous en sommes, ou qu’on veut nous ramener ? On a pu le craindre un moment. Tout le monde s’est mis à parler de concentration, de conciliation, d’apaisement. L’effort des modérés, qui avait été si vigoureux depuis quelques semaines, a paru se ralentir et déjà presque s’arrêter. Le Président de la République, par un retour aux plus mauvaises pratiques d’autrefois, a chargé un des membres du cabinet démissionnaire d’en composer un autre, comme si les ministres n’étaient pas solidaires entre eux et si la même condamnation ne les frappait pas tous en même temps. Quoi qu’il en soit, M. Sarrien, que l’on pourrait appeler un radical modéré, radical par opinion ou peut-être par situation, modéré par son caractère et par ses tendances d’esprit, s’est mis en mouvement en vue de constituer un cabinet de concentration. Il s’est adressé à la fois à des radicaux et à des modérés, et il a échoué sur toute la ligne. Les radicaux ont déclaré qu’ils n’abandonneraient rien de leur programme ; loin de là ! ils y ajoutaient la révision de la constitution. Les modérés ont déclaré non moins formellement qu’ils repoussaient l’impôt sur le revenu et la révision. Dans ces conditions il était difficile de s’entendre. Aussi ne s’est-on pas entendu, et M. Sarrien est revenu à l’Elysée où il a remis à M. Félix Faure un mandat qu’il n’avait pas su remplir. C’est une singulière obstination de la part de nos hommes politiques de vouloir faire des ministères de concentration, uniquement parce qu’on en a fait avec un certain succès pendant quinze ans. N’est-ce pas plutôt une raison pour que cette forme politique soit complètement usée ? On se rappelle que M. Léon Bourgeois avait été chargé deux fois déjà de faire un cabinet et qu’il n’a réussi que la troisième. Cela vient de ce que les deux premières, il n’avait voulu faire que des cabinets de concentration : aussi avait-il échoué. La dernière il s’est résolu, à son grand regret dit-on, à faire un cabinet homogène, et alors il a réussi. Mais il ne s’en est pas consolé. Son idéal reste la concentration, qui est aussi l’idéal de M. Sarrien. Il faut aller jusqu’à M. Goblet et à M. Millerand pour trouver des radicaux qui aient pleinement le courage de leur opinion.

Après M. Sarrien, M. Félix Faure a fait appeler M. Méline qui, excepté en matière économique, est incontestablement un modéré. Nul peut-être ne représente plus exactement que lui le centre de la Chambre des députés. Au reste M. Méline est bien connu : il l’est au dedans et au dehors. La campagne ardente, habile, et finalement