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Arago maire de Paris. » Le neveu prévoyant avait dans la poche une écharpe tricolore, il la noua à la ceinture de son oncle. L’initiative opportune de quelques-uns, l’adhésion impérieuse d’un seul, et un morceau de soie, il n’en fallut pas davantage pour qu’Etienne Arago se déclarât « acclamé par le peuple ».

Il était temps. Le nouveau maire avait à peine pris possession de son poste et nommé pour adjoints Floquet et Brisson, qu’une grande rumeur s’éleva de la place. Dans une voiture découverte qui fendait lentement la foule, un homme venait d’apparaître, une ceinture rouge autour de la taille, et le peuple avait reconnu Rochefort. Ses fidèles, après l’invasion de la Chambre, avaient couru à Sainte-Pélagie. Devant le droit de l’émeute, la prison s’était ouverte, comme le Corps législatif, comme l’Hôtel de Ville où ses libérateurs ramenaient leur chef aux cris de : « Rochefort maire de Paris ! » Cette fois le nom fait pour émouvoir la foule avait retenti, il souleva subitement cette clameur profonde et formidable où se reconnaît la vraie voix du peuple. Et un danger montait vers le gouvernement lorsque Rochefort, soulevé sur les épaules de ses compagnons, franchit la porte du palais, l’escalier d’honneur, et qu’à l’entrée de la grande salle, au milieu d’acclamations frénétiques, apparurent, dominant les spectateurs, son écharpe rouge et sa tête pâle.

Entre lui et les députés qu’il trouvait au pouvoir, aucune sympathie n’amortissait le choc imminent des ambitions. Son succès électoral de 1869 avait été une condamnation de la politique parlementaire. Tenu à l’écart par la gauche, accueilli par un silence glacial quand il portait à la tribune ses outrances méditées de langage, Rochefort en avait pris prétexte pour accuser ces républicains de mollesse, de complicité avec l’ennemi, et, comme Scapin roue de coups Géronte en paraissant tenir son parti, le railleur impitoyable avait plus d’une fois laissé tomber sur le dos de ses collègues le bâton qu’il levait chaque matin contre l’Empire. Son arrestation avait été, pour les moins épargnés par sa verve, une délivrance, pour tous un débarras, et les députés de Paris s’étaient adjugé le pouvoir sans songer au voisin incommode que le suffrage universel leur avait donné et que la révolution leur rendait. Un coup d’adresse encore para le péril. Jules Ferry courut à la rencontre de l’arrivant, le saisit entre ses bras comme en une effusion de joie, et, le séparant de son cortège, l’entraîna vers la petite salle où siégeait le nouveau pouvoir. Là il fut expliqué à Rochefort que, si la mairie ne lui était pas offerte, c’est qu’il était investi d’une fonction plus haute : on lui annonça que, député de Paris, il faisait partie du gouvernement. Au nom