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députation. Le président Leroux fut chargé de voir le général Trochu et de solliciter la médiation du général. L’Assemblée décida qu’elle reprendrait séance à huit heures, pour connaître les résultats de ces démarches.

La délégation partit aussitôt, parvint sans difficulté à l’Hôtel de Ville, et fut introduite dans le cabinet où elle trouva réunie la majorité du gouvernement. Grévy, avec sa netteté froide, exposa que la déchéance venait d’être prononcée, et que le Corps législatif invitait ses collègues actuellement à l’Hôtel de Ville à se joindre à lui pour, choisir d’un commun accord le gouvernement nouveau. Jules Favre répondit, mêlant les remerciemens et les réserves, que l’invitation venait bien tard, que les faits accomplis avant elle ne pouvaient être supprimés, déclara qu’il était nécessaire de consulter Trochu, Gambetta et Picard, alors absens, et que lui-même apporterait à huit heures au Corps législatif la réponse du gouvernement. Grévy était un de ces hommes qui parlent pour avoir donné leur avis et non pour convaincre ; il n’insista pas. Le silence, que les autres délégués gardaient aussi, fut enfin rompu par un député qui, sans avoir été désigné, s’était joint volontairement, à la délégation, M. Keller. Il fit remarquer que le gouvernement, se tînt-il pour constitué, ne pouvait ni lutter, ni traiter, ni vivre sans le concours du Corps législatif, seule autorité compétente pour fournir l’argent, les hommes et engager la nation ; que par suite il fallait au moins reprendre à la foule et restituer aux députés le lieu ordinaire de leurs séances. « N’y comptez pas, interrompit Jules Ferry. Vous pouvez vous réunir à vos risques et périls dans quelques bureaux ou ailleurs. Mais reprendre vos débats dans la salle des séances, non seulement nous ne vous y aiderons pas, nous ne le voulons pas. » Courtoise et hésitante encore avec Jules Favre, la révolution se montrait avec Jules Ferry hautaine et brutale : ces paroles signifiaient leur congé aux délégués. Pourtant ils ne sortirent pas tous. Au cours de l’audience, Guyot-Montpayroux avait apporté l’affiche de la proclamation rédigée par Picard, et au bas de laquelle était la liste du gouvernement. Garnier-Pagès y vit son nom. Debout jusque-là avec ses collègues du Corps législatif, il se détacha d’eux sans mot dire pour s’asseoir parmi ses collègues de l’Hôtel de Ville et, entré comme l’élu de la légalité, demeura comme l’élu de l’émeute.

Ainsi qu’il était convenu, à huit heures, 168 députés se retrouvèrent à la Présidence, et Jules Favre se fit annoncer. Le président Leroux n’était pas encore revenu du Louvre, l’Assemblée porta au fauteuil M. Thiers, le champion du droit parlementaire,